Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que, même dans la discussion du budget, il n’y ait des momens difficiles à passer. Il y a trois ou quatre jours, par exemple, un orateur de la gauche a reproché subitement au cabinet d’avoir violé la loi de 1893, qui interdit d’envoyer dans les colonies des soldats non rengagés de l’armée de terre. Il s’agissait de la défense de Diego-Suarez, et certes il y avait là un intérêt qui, en ce moment surtout et dans l’incertitude où nous sommes de l’avenir, ne doit pas être négligé. Mais ce n’est pas une raison pour violer la loi et elle avait été incontestablement violée. Aussi le ministère a-t-il passé ce qu’on appelle un mauvais quart d’heure, et M. le président du Conseil a-t-il dû, pour le sauver, donner de sa personne et poser la question de confiance. En somme, il demandait un bill d’indemnité et il l’a obtenu ; mais ses amis ont un moment tremblé. Quelques précautions qu’on prenne, ils trembleront encore jusqu’à l’ouverture de l’Exposition universelle. Alors, on ne manquera pas de dire que nous avons des invités, que nous ne pouvons plus faire du bruit chez nous, qu’il serait tout à fait malséant de donner au monde le spectacle de nos discordes intérieures et surtout d’une crise gouvernementale. Le plus sûr moyen pour atteindre ce résultat sera de persuader à la Chambre de s’en aller en vacances : la majorité ne demandera pas mieux. Voilà comment on espère faire vivre le ministère jusqu’à la rentrée d’automne, et nous n’hésitons pas à dire qu’il y a là un danger très supérieur à celui qu’ont jamais pu nous faire courir M. Déroulède et M. Marcel Habert, même le jour où ils ont voulu conduire un cheval à l’Elysée.

Pendant ce temps on préparera peu à peu l’opinion, qui s’y est montrée jusqu’ici assez réfractaire, aux projets de loi déposés par le cabinet. Les deux plus importans, à coup sûr, sont ceux qui visent les libertés d’enseignement et d’association. Ils ne sont déjà plus tout à fait intacts : le premier, du moins, a subi quelques avaries dans la commission parlementaire présidée par M. Ribot, car elle s’est montrée en majorité favorable à la liberté. Il n’en est pas moins très bon, très utile et très prudent que les adversaires du projet de loi s’organisent dans toute la France, et continuent de dénoncer un danger qui est encore très loin d’être dissipé. M. Brunetière prononçait, il y a quelques jours, à l’hôtel des Sociétés savantes, une éloquente conférence sur ce sujet. M. le comte d’Haussonville présidait la séance ; il l’a ouvverte par quelques paroles où la question était fort bien posée, et le projet ministériel démontré contraire à la liberté, à l’égalité et à la fraternité que nous avons inscrites sur tant de murs, ce qui ne saurait dispenser de les mettre aussi dans nos lois. M. Brunetière, dont nous ne