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Me Chenu, l’avocat de M. Marcel Habert, en a tiré la conclusion que le Sénat, agissant comme Haute Cour, devait avoir la même composition que le Sénat agissant comme organe législatif, c’est-à-dire qu’il devait comprendre la totalité de ses membres. Il s’agit du droit et non pas du fait. En fait, il y a toujours des membres manquans pour des motifs qui leur sont personnels. Ils peuvent être malades. Ils peuvent avoir été empêchés de se rendre à la première séance où est lu le réquisitoire introductif d’instance, ou même à une des séances ultérieures, et dès lors, ils sont frappés d’une incapacité légale ; mais c’est leur faute, et ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux. Tout différent est le cas des sénateurs élus ou réélus le 28 janvier dernier. Ils sont sénateurs au même titre que les autres ; pourquoi n’auraient-ils pas comme eux le droit de juger ? Le fait même qu’ils sont plus près du corps électoral, et qu’ils représentent le dernier état de l’opinion publique, serait-il pour eux une cause d’exclusion ? La défense ne l’a pas cru ; elle a réclamé pour juger M. Marcel Habert le Sénat tout entier. M. le Procureur général s’y est opposé pour deux motifs de valeur très inégale. Le premier, le plus faible à notre sens, est que les sénateurs élus ou réélus le 28 janvier sont, au point de vue parlementaire, des hommes tout nouveaux et qu’ils ne peuvent pas prendre la suite d’une affaire dont les débuts sont antérieurs à leur élection. Cela est vrai matériellement de ceux qui ont été élus le 28 janvier pour la première fois, mais ne l’est que fictivement pour ceux qui ont été réélus et qui avaient assisté à toutes les séances du procès. Le second motif sur lequel s’est appuyé M. le Procureur général est plus grave. La loi n’a pas voulu, a-t-il dit, qu’une affaire déjà en cause puisse être jamais portée du terrain judiciaire sur le terrain électoral, ce qui serait la destruction même de l’idée de justice. Le jour, en effet, où des candidats seraient amenés à faire connaître aux électeurs leur opinion sur la culpabilité de tel ou tel accusé, et où ils recevraient d’eux le mandat impératif, avoué ou déguisé, de prononcer un acquittement ou une condamnation, le juge véritable, contrairement à la loi et aux garanties qu’elle a entendu établir, serait l’électeur et non pas l’élu. Il y avait là, nous le reconnaissons, une raison très forte de prononcer l’exclusion de tous les élus ou réélus du 28 janvier. Mais alors on se trouvait placé dans une situation contradictoire, d’où il était impossible de sortir.

Si on admettait comme membres de la Haute Cour la totalité des sénateurs, on s’exposait aux inconvéniens moraux que nous venons d’indiquer ; et, si on ne les admettait pas, on s’exposait à n’avoir qu’une