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Annibal est demeuré, la Galerie terminée, au service de son protecteur ; il peint ce que celui-ci lui ordonne de peindre. Farnèse fait des cadeaux avec les toiles de Carrache ; il offre au cardinal d’Esté, en mai 1604, une Assomption de la Vierge exécutée par son peintre. À cette même époque, Virginio Roberti, agent du duc de Modène, annonce à ses maîtres que le cardinal Farnèse a fait restaurer, par il suo pittore, un portrait fort gâté du duc Alphonse de Ferrare, ouvrage de Titien. Le souverain de Modène écrit, le 19 février 1605, au cardinal Odoardo une lettre où je relève ces lignes : « J’estime beaucoup les ouvrages d’Annibale Carachia, serviteur de Votre Seigneurie Illustrissime. »

Cette lettre avait trait à un tableau que le duc désirait faire exécuter par Carrache et, au lieu d’écrire directement au peintre, c’est au cardinal qu’il s’adresse pour obtenir d’abord son consentement. Farnèse répond le 12 mai : « Quand Annibal Carrache sera remis d’une maladie mortelle qu’il a eue les jours passés, et qui lui interdit encore la peinture, Votre Altesse sera servie… dans ses désirs, et cela arrivera dans un mois, les médecins espérant que dans cet espace de temps Carrache sera tout à fait valide. » Le duc, en chargeant son agent de suivre l’affaire, lui donna les instructions nécessaires. Le tableau devait représenter la Nativité de la Vierge, avoir telle largeur et telle hauteur, la toile étant destinée à prendre place sur un autel qui recevait la lumière à main gauche. La commande fut faite à Annibal, qui l’accepta, et s’engagea formellement à livrer le tableau pour la fête de la Nativité (le 8 septembre suivant). Mais la Nativité se passa sans que la promesse reçut son exécution. Carrache avait éprouvé un violent accès de goutte. Le 12 avril 1606, le cardinal Farnèse écrit au duc de Modène. Il lui exprime son regret que le travail soit resté en souffrance ; lui-même n’a rien demandé à son peintre depuis un an ; à la suite de l’attaque de goutte, ce dernier est tombé dans un tel état de mélancolie que rien n’a pu l’engager à reprendre ses pinceaux. Le tableau n’est pas encore achevé l’année suivante. Fabio Masetti, le nouvel agent de Modène, le déclare dans une lettre datée du 26 mai 1607. Carrache a reçu un dernier avertissement : Si la Nativité n’est pas livrée dans un délai de deux mois, le duc y renoncera définitivement. Masetti se hâte, d’ailleurs, d’ajouter que, depuis sa maladie, Carrache ne fait plus rien qui vaille. Par le fait, le tableau ne fut jamais terminé.

Ainsi Annibal ne rompit pas avec son puissant patron, après