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à laisser un Bellori tirer de son œuvre la leçon qu’elle ne comportait pas. C’est cette liberté qui permit à Carrache de s’élever dans la Galerie, selon l’expression de Nicolas Poussin, au-dessus de lui-même. Délivré de l’ingérence importune des lettrés, affranchi par la nature même de son travail du joug tyrannique de la convention, il put mettre librement en œuvre les dons précieux que Dieu lui avait départis et les ressources qu’il devait à des études persévérantes. Ne nous étonnons donc pas qu’il ait si complètement aussi.

La décoration de la Galerie fut très probablement achevée dans le courant de l’année 1600 ; c’est du moins ce qui semble ressortir de la présence de cette date inscrite en larges caractères romains — MDC — au-dessus de la corniche, à l’une des extrémités de la salle, exactement sous le tableau de Polyphème jouant de la syrinx. C’est d’ailleurs au printemps de cette même année que Ranuccio Ier vint à Rome pour y épouser Margherita Aldobrandini, petite-nièce du pape régnant. Il fit à cette occasion quelque séjour au palais Farnèse. Les négociations de ce mariage avaient été très habilement conduites par le cardinal Odoardo. On conçoit que ce dernier ait fait ce qui dépendait de lui pour que son frère aîné trouvât dans la vieille demeure de sa famille une résidence digne de lui, et c’eût été une délicate attention de lui réserver la satisfaction de faire pour la première fois aux Romains les honneurs du salon des fresques.

Si l’hypothèse que ces argumens semblent accréditer est exacte, quatre années et non dix, comme certains auteurs l’ont avancé sans preuves, auraient suffi à Carrache pour mener à bien la tâche confiée à ses soins. On est tenté de reconnaître que cet espace de temps était très suffisant, quand on se rappelle que Michel-Ange avait peint en quatre ans les voûtes de la Sixtine.

Bien des gens s’émerveillent qu’un prince de l’Église n’ait pas craint de faire exécuter chez lui, à la fin du XVIe siècle, des peintures aussi peu en harmonie avec la charge dont il était revêtu. Leur étonnement augmente lorsqu’ils apprennent que la cour pontificale présentait sous Clément VIII un spectacle de dignité auquel l’illustre historien protestant, Léopold Ranke, s’est plu à rendre hommage. Mais ce qui achève de les confondre c’est que Giovanni Dolphin, l’ambassadeur vénitien, ait pu appeler le cardinal Odoardo « un ange du paradis » dans un document officiel destiné à l’instruction de la Seigneurie. Le caractère de l’homme