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journée de liberté, prennent fort gaiement les choses. Il n’en est pas de même de M me Desjoberts. Elle a passé une mauvaise nuit, a été réduite à faire une toilette sommaire sans le secours d’aucune femme de chambre ; elle a conscience de n’être ni coiffée ni atournée à son avantage, et ce réveil inconfortable aigrit son humeur. Rivoalen est allé à la recherche d’un patron de barque nommé Kardec, qu’il a connu jadis et qui, assure-t-il, ne refusera pas de les conduire à Sainte-Anne. Pendant ce temps, les deux sœurs et Salbris arpentent impatiemment les pavés glissans de la jetée. Un soleil blanc filtre à travers un ciel brouillé ; l’air est lourd ; tout là-bas, vers l’ouverture de la baie, la mer fume et des nuages fuligineux s’amassent au-dessus de Morgat.

— Agréable partie de plaisir ! murmure sarcastiquement Tonia, combien de temps allons-nous poser sur cette jetée boueuse, qu’infecte une odeur de sardines ?... A quelle heure arriverons-nous au Pardon, si nous y arrivons ?...

— Bah ! réplique le peintre avec insouciance, rien ne nous presse... En cinq quarts d’heure, on peut traverser la baie et aborder dans la rivière de Sainte- Anne... Si je ne me trompe, d’ailleurs, voici Rivoalen qui s’avance avec le patron Kardec... En effet, on aperçoit une grande barque de pêche, gréée de sa voile rousse, manœuvrée par deux hommes et un moussaillon. ’Elle quitte le fond du port, avec son canot flottant à l’arrière, et se dirige obliquement vers l’extrémité du môle. Rivoalen agite son chapeau en signe de ralliement, et, cinq minutes après, l’embarcation accoste au pied de la jetée. Le patron Kardec est un homme entre deux âges, trapu, râblé, à la peau tannée. Il a une bouche gouailleuse et deux yeux malins très brillans.

— Mesdames, dit Rivoalen en aidant les deux sœurs à s’installer dans la barque, je vous présente mon ami Kardec, un brave loup de mer qui se met à notre disposition et qui va nous mener vivement à Sainte-Anne... N’est-ce pas, Kardec ?

— Oui, affirme le patron d’un ton péremptoire ; asseyez- vous à l’aise, mesdames... La Belle-Marie marche bien, et dans une heure elle aura gagné l’entrée de la rivière... A condition que nous puissions attraper un peu de brise.

Seulement il n’y a pas un souffle d’air ; tandis qu’on quitte lentement la pointe du môle, la voile rousse se gonfle à peine et la Belle-Mario n’avance guère.

— Espérons !... reprend flegmatiquement Kardec en lançant