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maternité : on n’est pas tenté de prier en les regardant. Buonarotti va plus loin : il introduit systématiquement le nu et les élémens de la sculpture païenne au milieu de ses sibylles et de ses prophètes, et Vasari, son admirateur et son ami, avoue qu’en peignant le Jugement Dernier, « l’intention de cet homme unique n’a été que de représenter la composition du corps humain dans ses proportions parfaites et ses attitudes si diverses. » Le Corrège et Titien prennent les sujets religieux comme des thèmes féconds pour leurs variations pittoresques et naturalistes ; il faut la lumière du premier et le magique coloris du second pour couvrir l’absence de l’idée et du sentiment religieux dans leurs plus célèbres tableaux d’église. Encore une génération et l’on verra Paul Véronèse promener le Christ dans les palais de Venise, au milieu des grands seigneurs vêtus de soie et des nobles dames couvertes de bijoux et de perles. Que dire des débiles contemporains de ce grand coloriste, des impuissans imitateurs de Michel-Ange, empruntant des sujets aux Evangiles et à la Légende des saints pour prodiguer sur leurs toiles des exhibitions de gymnastes et d’acrobates déséquilibrés ?

Cependant le Concile de Trente avait restauré le sentiment catholique en Italie. Par un effort énergique, l’Église était parvenue à ressaisir l’empire des âmes. Mais, pour réussir dans cette difficile entreprise, elle avait dû composer avec le siècle. Si la réforme s’opéra, ce fut par degrés, dans la mesure du possible. Il fallut se résigner à tolérer ce qu’on ne pouvait empêcher sans péril. Se pliant aux exigences du temps, Rome ne se montra inflexible que sur l’intégrité du dogme et sur l’autorité du pape, points essentiels ! Pourvu qu’on s’abstînt de les discuter, l’Église témoigna d’une grande tolérance. Le clergé rajeuni, fortifié par l’infusion d’un sang nouveau, entreprit l’instruction des fidèles par ses écrits et ses sermons ; mais, dans la pratique, il se montra infiniment plus exigeant sur la doctrine que sur les œuvres. Il s’appliqua surtout à obtenir que les classes supérieures de la société offrissent l’exemple du respect de la religion, et que les convenances fussent observées de tous : à défaut de la piété sincère, il parut se contenter, en maintes circonstances, des apparences de la ferveur. De là l’exagération des signes extérieurs de la foi. Les cérémonies du culte revêtirent une magnificence propre à frapper les imaginations. Les églises italiennes se remplirent d’ornemens accessoires, attributs sensibles d’une dévotion