Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
163
ANNIBAL CARRACHE.

lui avait départi le don inné de l’imitation. Son tempérament le conduisait au naturalisme ; ses dessins, par leur fermeté, montrent l’homme qui possède l’instinct des formes. En effet, il saisissait sans effort le caractère essentiel des choses : il fut caricaturiste original, il fut bon paysagiste. D’autre part, il adorait son art et ressentait l’enthousiasme pour tout ce qui est beau ou lui paraissait tel. Mais il vivait à la fin du XVIe siècle et il travaillait pour les hommes de son temps.

Si les tableaux religieux d’Annibal ont perdu le secret de nous émouvoir, pourquoi s’en étonner ? N’en est-il pas ainsi de tous les ouvrages du même genre peints en Italie à cette époque ? Pendant une longue suite de générations, la peinture religieuse avait été toute la peinture. Pour guide unique, pour unique principe, elle avait eu la foi, une foi simple, ardente, irraisonnée, irréprochable. C’est le sentiment chrétien qui a engendré la plupart des scènes qui nous ravissent chez les Primitifs, malgré l’inexpérience de quelques-uns d’entre eux. Puis, sous l’influence de l’humanisme paganisant, le genre profane avait reparu dans la peinture, y avait marqué sa place, jusqu’au jour où, devenu conquérant, il avait fait sentir son action dans le domaine religieux lui-même. Dès lors, le détail pittoresque va se développant ; le sujet principal est de plus en plus sacrifié à l’accessoire. Les compositions religieuses descendent peu à peu du ciel sur la terre. Il est vrai que ce que la peinture perd en profondeur, elle le gagne en étendue. C’est alors que l’idée, maîtresse d’elle-même, l’emporte définitivement sur le sentiment dans les préoccupations des artistes : c’est aussi le temps où la main, disposant de toutes les ressources de la technique, devient une esclave docile au service de la pensée. Léonard de Vinci compose sa Cène, c’est-à-dire la plus dramatique des compositions religieuses dans son adorable simplicité ; Michel-Ange crée sa terrible épopée biblique dans les voûtes de la Sixtine ; Raphaël, enfin, peint cette sublime page de philosophie transcendante qu’on appelle la Dispute du Saint-Sacrement. Coïncidence singulière ! Ces trois œuvres colossales apparaissent au moment où, en Italie, laïques et clercs sont à moitié païens. La peinture suivait d’assez loin l’évolution des idées et des mœurs : on s’aperçoit néanmoins de l’influence de la civilisation sur les artistes. Quoi qu’on en dise, les Vierges de Raphaël ne gardent presque plus rien de mystique ; elles ne sont divines que par leur incomparable beauté, leur chasteté, leur