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et la mythologie. Leur esprit s’enrichissait de connaissances variées et de données exactes. L’école était extrêmement éclectique. Il ne s’ensuit pas qu’on doive prendre au pied de la lettre un sonnet célèbre composé par Augustin en l’honneur de Niccolo dell’Abbate. Les historiens du XVIIe siècle ont supposé et ceux du XIXe admettent encore, que les Carrache avaient entrepris d’arracher son secret à chacun des grands maîtres de l’âge précédent afin de composer, avec leurs divers procédés, une manière nouvelle qui, participant du talent de chacun d’eux, devait fatalement atteindre la perfection. Que Louis ait appuyé son génie timide sur l’imitation d’autrui, cela est admissible ; qu’Augustin se soit complu à formuler la théorie de l’éclectisme, rien n’est moins invraisemblable ; mais ce qui est hors de doute, c’est qu’Annibal ne doit pas sa gloire à la pratique que lui prête le Bernin. M. de Chantelou raconte, en effet, dans son Journal, qu’en revenant de Saint-Germain et discourant de la peinture, Bernin loua extrêmement Annibal, disant « qu’il avoit ramassé en lui la grâce et le dessin de Raphaël, la science et l’anatomie de Michel-Ange, la noblesse et la façon de peindre du Corrège, le coloris de Titien, l’invention de Jules Romain et d’André Mantegna ; et de la manière des dix ou douze plus grands peintres, qu’il en avait formé la sienne, comme si, passant par une cuisine où elles fussent chacune dans un pot à part, il en aurait mis dans le sien, qu’il aurait sous le bras, une cuiller de chacun. » Ce sont là des jugemens formulés après coup, ils ne résistent pas à une critique sérieuse et à l’examen des œuvres.

De ce que les Carrache se soient proposé l’étude des grands maîtres qui les ont précédés, on ne saurait équitablement les blâmer. Il faut toujours être l’élève de quelqu’un. Les plus illustres peintres du cinquecento furent, pour la plupart, les disciples respectueux d’artistes plus anciens. Raphaël et Michel-Ange ont subi dans une certaine mesure la règle commune. Pour ce qui regarde les Carrache, ayant reconnu que Bologne ne comptait aucun peintre vivant dont ils pussent suivre les leçons avec profit, ils se résignèrent à remonter aux sources. Leurs tendances semblent judicieuses ; s’ils n’ont pas complètement réussi, leur échec relatif provient de causes particulières. Louis doit s’en prendre à son insuffisance, Augustin à sa versatilité. Si ce dernier eût borné son ambition à rester peintre, il aurait probablement excellé dans son art. Il en va tout autrement d’Annibal. La nature