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ANNIBAL CARRACHE.

respectivement les dates du 18 et du 28 avril 1580. La grande coupole du duomo avait fait une profonde impression sur l’esprit du jeune Bolonais. « Ses puttini, écrit-il, vivent et rient avec une grâce et une vérité telles qu’il faut rire et s’égayer avec eux, » et plus loin : « Je suis enchanté de cette candeur et de cette pureté, qui sont vraies et non vraisemblables, naturelles, non artificielles et forcées. » Et il s’attendrit en pensant aux malheurs du pauvre Antonio Allegri, un si grand homme, en admettant que ce soit un homme — si pure uomo. — Tout entier à son admiration, Annibal aurait voulu la faire partager par son frère aîné. Il pria Louis d’intervenir pour qu’Augustin le rejoignît sans retard. « Nous vivrons en paix, écrit-il…, je lui laisserai dire tout ce qu’il voudra et m’appliquerai à peindre. » Une seconde fois il exprime le même désir, non toutefois sans laisser échapper quelque réticence. « Quand arrivera Augustin, il sera le bienvenu et nous nous appliquerons à étudier toutes ces belles choses ; mais, pour l’amour de Dieu, sans disputes entre nous et sans tant de subtilités et de discours, que nous cherchions à nous assimiler tant de belles choses ! » Ces dernières paroles serviront dans la suite à dissiper une partie des obscurités amassées sur les relations des deux frères. Il n’y a pas de preuves qu’Augustin ait rejoint Annibal à Parme. Peut-être ne se rencontrèrent-ils qu’à Venise, où le plus jeune des Carrache se rendit peu après afin d’étudier Titien dans ses principales productions.

Les deux voyageurs revinrent à Bologne les yeux remplis de ce qu’ils avaient vu au dehors. Impatiens de se distinguer, ils entreprirent avec le concours de Louis la décoration des palais Fava et Magnani. Ce fut comme une révélation. La réputation des Carrache, après avoir triomphé des jalousies locales, se répandit dans la péninsule tout entière. Encouragés par le succès, ils fondèrent dans leur ville natale l’Académie des Desiderosi, d’où sont sortis le Dominiquin, Guido Reni, l’Albane, le Guerchin et d’autres artistes de grand mérite. J’imagine que cette école se forma sous l’inspiration de Louis, qui avait longtemps réfléchi sur les principes susceptibles de servir de fondemens aux beaux-arts. Augustin dut se charger du rôle de pédagogue, pour lequel son savoir et sa parole facile le désignaient naturellement. Quant à Annibal, il se borna sans doute à prêcher d’exemple. Les disciples dessinaient le nu, ils assistaient à des leçons sur l’anatomie, l’architecture, la perspective. Ils entendaient discourir sur l’histoire