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événemens et les grandes situations historiques, capables de nous passionner, ne sont pas si nombreux et qu’il fallait recourir à un autre élément de curiosité et à un autre ressort d’intérêt. De là cette révolution dramatique, la plus importante dans toute l’histoire de notre théâtre, qui a substitué la tragédie psychologique située dans l’histoire à la tragédie proprement et foncièrement historique. Tout de même que la tragédie le roman historique peut-être un roman comme un autre, un roman d’observation morale, un roman psychologique, situé dans l’histoire, tenant compte de la couleur historique, mais eu son fond purement et simplement curieux du jeu des passions éternelles, comme la Princesse de Clèves.

Seulement, il restera toujours une objection, et je trouve qu’elle est d’importance. Si, en situant votre roman psychologique dans l’histoire, vous le traitez exactement comme un roman psychologique quelconque, à quoi bon l’y situer ? En vérité, ce roman historique où les mœurs historiques n’entrent pas n’est un roman historique que de nom. C’est un roman pseudo-historique. Si l’histoire n’y sert qu’à donner des noms plus ou moins illustres aux personnages et quelques détails de couleur locale, noms de montagnes voisines ou de bras de mer traversés, ou de ville vaguement entrevue, ne vaudrait-il pas mieux, plus franchement, nous donner votre roman comme roman contemporain ? Mieux, non. Ni plus ni moins. C’est indifférent. Mais précisément parce que c’est indifférent, l’objection subsiste et elle a toute sa force.

Elle est pleine de vérité ; et c’est bien ici que nous touchons le vice secret, l’élément de caducité, non pas de la tragédie racinienne, qui vit parce qu’elle est de génie ; mais de la tragédie telle que l’avait conçue Racine. Oui, et Saint-Evremond ne s’y est pas trompé, ni le groupe cornélien de 1660, la tragédie de Racine est une fort belle chose ; mais encore c’est une pseudo-tragédie, et cela est bien égal au public, puisque c’est une belle chose, mais cela a des conséquences dans l’histoire du genre. C’est à partir de Racine que la tragédie, d’une part, ayant reçu de Racine l’exemple de ne se soucier que médiocrement de l’histoire, d’autre part, n’ayant plus en elle la puissance d’analyse psychologique qui n’appartenait qu’au seul Racine, se trouva fort dépourvue et finit par apparaître à tous les yeux comme un genre faux. Elle l’était, n’ayant d’historique que les noms et voulant passer pour historique ; elle l’était, n’ayant plus aucune raison de s’appeler tragédie