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et de l’histoire moderne, je pourrais même dire de l’histoire de France, un roman historique a les plus grandes chances d’être ennuyeux, tous droits réservés du génie, qui, comme on sait, se moque de toutes les règles, c’est-à-dire de toutes les prévisions rationnelles, mais qui, encore, ne risque pas peu à s’en moquer.


IV

Mais il est une tout autre manière de traiter le roman historique, et qui, au lieu que la précédente en circonscrirait assez étroitement le domaine, lui fait au contraire un champ extrêmement vaste et en vérité indéfini. Cette manière consiste à traiter le roman historique à peu de chose près comme un roman contemporain. Elle consiste à faire du roman historique un roman d’observation morale, un roman psychologique. Elle consiste, en prenant en main des personnages de l’histoire, à leur attribuer les passions, les sentimens humains tels que nous les connaissons et le jeu de ces passions et sentimens tel que nous le connaissons aussi.

Et dès lors, le roman historique est tout simplement un roman et son domaine est indéfini comme est indéfinie la connaissance du cœur, comme sont indéfinies les combinaisons que l’on peut faire des passions humaines en exercice et en conflit. Cette manière de traiter le roman historique peut tenir ou d’une inexpérience un peu ingénue ou d’une vue très pénétrante. Mlle de Scudéry habillait les personnages de l’antiquité à la française et ne leur donnait exactement que les sentimens et les paroles de Français et de Parisiens de son temps. C’est que, de l’antiquité elle ne connaissait rien du tout, et que tout ce qu’elle connaissait au monde était les gens qu’elle avait contemplés dans ses visites. Et ses romans, malgré un certain talent de peintre de portraits, laissent l’impression d’une assez étrange et assez maladroite mascarade. Mais, s’il vous plaît, Racine fait-il autrement ? Fait-il d’une façon très sensiblement différente ? Point du tout. Il donne, il laisse à son récit une couleur antique ou exotique, une couleur historique en un mot assez sensible et même assez forte, quoi qu’on en ait dit ; mais quant aux sentimens qu’il attribue à ses personnages, il ne s’inquiète absolument point qu’ils soient de tel temps ou de tel lieu. Ils sont des sentimens humains et rien de plus. Il ne faudrait l’aire d’exception que pour Athalie et encore ce ne serait