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une certaine complaisance des détails historiques et c’est précisément quand elle l’est bien, ou ménager sévèrement ces mêmes attraits et c’est précisément quand elle l’est peu, ou rejeter délibérément le sujet comme mauvais et ne pas écrire le roman et c’est précisément quand elle ne l’est pas du tout. A cet égard, le roman archéologique est comme la limite du roman historique. Quand le roman est simplement historique, il est faisable ; quand il se rapproche du roman archéologique, il y faut de grandes précautions ; quand il serait proprement roman archéologique tout pur, il ne faut pas le faire.

Il est une autre qualité que le roman historique doit avoir ou plutôt il est un autre défaut dont il doit savoir se garder avec un soin extrême. Dans l’histoire qu’il raconte, doit se trouver engagé un grand intérêt humain, une grande question d’où dépendaient les intérêts de l’humanité d’autrefois et que l’humanité d’aujourd’hui est capable encore de comprendre et de sentir. C’est une règle absolue qu’on n’intéresse quelqu’un qu’en lui parlant de lui. L’art littéraire consiste à parler de lui au lecteur indirectement et d’une façon agréable. Indirectement et c’est tout juste le fond même du procédé artistique.

L’homme n’aime pas qu’on lui parle de lui face à face, qu’on le « confesse » et qu’on le « dirige. » Mais comme il est à peu près incapable de s’intéresser d’autre chose qu’à lui, il aime qu’on lui parle de lui sans en avoir l’air et en affectant de parler d’autre chose. Il aime qu’un auteur lui fasse des confidences personnelles ; mais de telle sorte et avec un tel caractère de généralité, quelque particuliers que soient les incidens, que le lecteur se mette continuellement à la place de l’auteur et écoute, dans l’histoire d’un autre, la sienne propre. Il aime les drames et les romans et les poèmes où se trouvent peintes, en leur violence ou en leurs raffinemens, les passions qu’il a senties lui-même à un moindre degré ou sous une forme plus simple. Et, donc, dans le roman historique qu’aimera-t-il ? Les grandeurs et misères des hommes illustres ? Point précisément ; mais ces mêmes grandeurs et misères en tant qu’elles ont eu un contre-coup sur les destins de l’humanité. Pourquoi ? parce que l’humanité, c’est lui-même. C’est lui-même à travers les âges. Le lecteur, en présence de la tragédie, de l’épopée ou du roman historique se cherche encore, confusément, et il se trouve sous la forme et en la personne pour ainsi dire, du genre humain. Il se généralise, sans cesser de songer à lui, et il se