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y a une différence très sensible entre l’épopée et le roman et quelle est cette différence.

S’il en est ainsi, il y a bien là deux genres distincts, qui, certainement et Dieu merci, n’ont rien de rigide en leurs limites, qui ont une certaine plasticité, comme tous les genres, qui, à un certain moment, peuvent tout à coup se rapprocher, de même que la comédie peut quelque fois toucher à la tragédie ; mais enfin deux genres ayant chacun sa loi propre, son caractère particulier et son ton spécial ; et de ce que le roman historique a la même matière que l’épopée, il ne faut pas conclure que, n’étant rien quand il n’est pas l’épopée, il est par définition inexistant. Le roman historique est quelque chose comme une épopée familière ou au moins simple ; puisant sa matière plus volontiers dans l’histoire, comme l’épopée la puise plus volontiers dans la légende ; visant, à l’ordinaire, plutôt à l’intéressant qu’au grand et à l’imposant ; excitant plutôt la curiosité que l’admiration.


III

Si la légitimité du roman historique est accordée, reste à connaître de quels dangers il a à se garder pour réussir et dans quelles régions il doit se maintenir pour être véritablement sur son domaine. Tout d’abord, en général, et sauf audace qui pourrait être heureuse, mais qui serait aux risques et périls de l’auteur, le roman historique, tout comme l’épopée et tout comme la tragédie, ne doit chercher sa matière que dans des périodes de l’histoire relativement assez bien connues du lecteur. Ce n’est pas, à la vérité, l’ancienne manière ; mais je crois que l’ancienne manière n’était pas bonne. L’abbé Terrasson puisait la matière de son Sethos dans l’histoire d’Egypte ; Marmontel allait chercher ses Incas dans l’histoire du Pérou. Ils ont eu raison, puisqu’ils ont réussi ; mais ils n’ont pas réussi assez, assez longtemps du moins, pour qu’il soit démontré qu’ils n’auraient pas mieux fait d’agir autrement.

L’inconvénient de ces sortes d’ouvrages est celui-ci. L’intérêt historique ruine ou plutôt empêche de naître l’intérêt proprement dit. Pour le lecteur, Sethos est un ouvrage sur l’Egypte et c’est l’Egypte qu’il veut apprendre dans Sethos. Les personnages et leur histoire reculent, pour ainsi dire, à l’arrière-plan et sont offusqués, non pas précisément par leurs entours, mais par