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je dirai qu’ils ont été acceptés par les hommes comme genres agréables et adoptés par la critique comme genres bien constitués et qu’à interroger ainsi tous les genres sur leur authenticité, on finirait peut-être par trouver qu’il n’y a de genres vrais que l’élégie (et encore très simple et sans ornemens), en vers, et le discours au peuple (et encore très direct et sans appareil), en prose.

Le roman historique, c’est l’épopée et il subit les conditions de l’épopée, lesquelles ne laissent pas d’être assez rudes. S’il y a trop d’histoire dans l’épopée, on la traite de chronique rimée et le poète de « froid historien ; » s’il n’y a pas assez d’histoire et si l’histoire n’y intervient que comme accessoire et ornement, on dit que l’épopée n’a pas de fondement solide et qu’elle n’est qu’une œuvre d’imagination avec quelque hypocrisie et qu’elle n’est qu’un roman qui n’a pas le courage de son opinion. Et vous voyez bien que l’épopée est un genre faux, en tant que genre mixte et en tant que genre incertain sur les doses justes du mélange. Il y a eu pourtant de belles épopées.

Autant, exactement, on en peut dire du roman historique.

Le roman historique, c’est la tragédie, et je dis la tragédie shakspearienne tout aussi bien que la tragédie classique française. Shakspeare et les tragiques français n’ont pas fait autre chose que prendre l’histoire comme matière en la tournant au roman, en y mêlant des intrigues et des incidens qu’ils tiraient de leur imagination, ayant soin seulement, quand ils avaient du génie ou quand ils savaient leur art, de donner à leurs intrigues et incidens un certain ton, une certaine couleur qui fût en conformité avec cette histoire même qu’ils racontaient à leur façon. Antoine et Cléopâtre est un pur roman historique, et Britannicus tout de même.

Il y a même ceci d’assez remarquable que, si la conscience historique commanderait de distinguer très nettement en un ouvrage de ce genre ce qui est historique et ce qui ne l’est pas, la conscience artistique commande précisément tout le contraire et veut que l’érudition et l’imagination soient intimement unies dans tout le travail et travaillent ensemble sans bien savoir elles-mêmes où l’œuvre de l’une commence et où commence l’œuvre de l’autre. Que l’histoire soit seulement la toile de fond et que tout le reste soit d’invention, c’est précisément la définition d’une mauvaise tragédie ; que le fond, c’est-à-dire récits et caractères,