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visiblement dans l’humilité intérieure ; elle s’absorbait dans une prière si fervente, qu’on dut l’avertir plusieurs fois, au cours des vêpres, de ne point demeurer tout le temps agenouillée.

Les harangues occupèrent une heure ou deux de la soirée. Puis on passa sur la terrasse du Gouvernement pour voir le feu d’artifice tiré sur l’Ill, où apparurent unies les armes de France et de Pologne. Le coup d’œil le plus beau fut celui de la flèche de la cathédrale illuminée ; elle montait dans le ciel comme une pyramide de feu et on y tira une partie des fusées. Les chiffres lumineux des époux étaient suspendus dans les rues, parmi les arcs de feuillage ; on dansait aux cris de : « Vive le Roi et la Reine ! » et l’on faisait des feux de joie devant toutes les portes. Les mêmes réjouissances continuèrent le lendemain ; Mlle de Clermont et quelques dames eurent l’idée de monter sur la plate-forme du clocher et admirèrent l’immense panorama de la plaine du Rhin. Quant à Marie, elle donna à ses parens et à leurs amis préférés toutes les heures de cette dernière journée.


V

La séparation eut lieu le 17 août, à dix heures du matin. La jeune reine fit ses adieux sur le marchepied de son carrosse, et tout le monde y fut en larmes. Mais, quatre lieues plus loin, au village où l’on dîna, Stanislas vint rejoindre sa fille et, le soir, partagea avec elle, au palais épiscopal de Saverne, l’hospitalité somptueuse du cardinal de Rohan. Ils passèrent encore ensemble la matinée du lendemain, retardant le plus possible le moment de se quitter et de finir pour jamais leur vie commune. La cour et les curieux respectèrent cette intimité, même pendant leur dîner, et se portèrent aux tables plus joyeuses de Mlle de Clermont ou du duc d’Orléans. Après dîner, la Reine se remit en carrosse avec ses dames ; le cortège se reforma, salué par l’artillerie à la sortie de la ville, et se mit à gravir la montagne de Saverne. Au point le plus élevé de la route, Stanislas parut à cheval, avec ses gentilshommes, et chevaucha quelque temps à la portière royale. La Reine comptait qu’il l’accompagnerait jusqu’à Sarrebourg, où l’on devait coucher ; mais elle apprit, un peu plus loin, que le roi avait tourné bride sans rien dire, afin d’éviter les dernières émotions, et qu’il était déjà trop loin sur la route de Strasbourg pour qu’elle put songer à le rappeler.