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L’expérience parlementaire les a habitués à croire que le mérite personnel ne sert pas à grand’chose, et qu’il a plutôt besoin de se faire excuser : il ne vaut comme monnaie courante qu’à la condition de s’adjoindre une certaine proportion d’alliage d’un métal moins pur. Ces politiques désabusés ont surtout appris à attendre ; ils attendent donc, et ce n’est pas parmi eux que se produira l’initiative libératrice.

En continuant de marcher de droite à gauche, on arrive à ces groupes radicaux sur lesquels les yeux du centre sont aujourd’hui fixés avec une attention de plus en plus ardente, pour y relever les plus légers symptômes de désaffection à l’égard du cabinet. Et le centre n’est pas sans éprouver quelques satisfactions, car les symptômes désirés ne manquent pas depuis un certain temps. Le bruit a couru, il s’est répandu de plus en plus, qu’un certain nombre de radicaux étaient mécontens. Sont-ils plus intelligens que les autres ? Sont-ils seulement plus pressés, et trouvent-ils que le moment est arrivé pour eux de rentrer au pouvoir ? Leur opposition tient-elle à l’une ou à l’autre de ces deux causes, ou à toutes les deux à la fois ? Peu importe ; cette opposition est certaine ; et la meilleure preuve que nous en ayons est dans la colère que leurs voisins immédiats, les radicaux ministériels, manifestent contre eux, colère qui, dans certains journaux, s’exprime à la manière toute familière du Père Duchesne. Elle s’exerce particulièrement contre MM. Sarrien, Mesureur et Lockroy. Est-ce à dire que l’un d’entre eux va enfin donner le signal attendu ? Rien n’est moins probable. Ils en ont tous bien envie, mais oseront-ils ? Ils voient déjà l’accusation de trahison se dresser contre eux, et ils reculent. Le groupe socialiste, le seul qui soit vraiment ministériel, leur impose. Et voilà comment il suffit d’une minorité socialiste, infime par le nombre, mais hardie, déterminée, violente, terrorisante, pour tenir tout le reste de la Chambre en respect. Voilà pourquoi le ministère dure, et pourquoi peut-être il durera encore plus ou moins longtemps.

Si ce tableau est exact, il explique bien des choses. On parle beaucoup de la crise que subit en ce moment le gouvernement parlementaire : elle n’est que trop réelle, et ce n’est pas nous qui en contesterons la gravité. Cette forme de gouvernement, la seule peut-être qui, dans nos sociétés modernes, soit compatible avec l’exercice de la liberté, parait avoir chez nous complètement épuisé sa vertu. Les uns la condamnent formellement, les autres cherchent à l’améliorer par une révision des lois constitutionnelles ; et nous assistons à une double campagne qui ne laisse pas de produire une forte impression sur les esprits. Une nuée d’empiriques et quelques médecins proposent leurs remèdes.