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Les fleurs brillent d’un feu secret en se fermant
Et l’âme, repliant sa corolle, comme elles,
Bercée entre la terre et le ciel longuement,
Goûte à cacher ses pleurs un pur apaisement
Et ne se distrait plus des choses éternelles,
Lors même que, mêlant les cris et les coups d’ailes,
Quelque nid proche éclate en sonores querelles,
Même lorsque, brisant les branches, apparaît,
Soudain surgi des noirs fourrés et l’œil sauvage,
Un enfant roux coiffé d’un chapeau de feuillage.

Le crépuscule rêve au fond de la forêt.

Alors comme un doux clair de lune dans mon âme
Le fantôme adoré se lève. Je vous vois,
Vous, ma plus sûre amie et la plus noble femme,
Telle qu’abandonnée à mes bras, tendre poids,
Un soir de notre amour vous marchiez dans les bois.
Vous vous penchez, pensive et belle et pâle et lasse,
Les cheveux dénoués et fière de l’émoi
Que répand votre corps voluptueux sur moi.
Une langueur nouvelle ajoute à votre grâce.
Pareille à l’épi mûr qui ploie à se briser,
Vous reposez la tête au creux de mon épaule ;
Vos yeux cherchent mes yeux, vos lèvres mon baiser.
Parfois un oiseau crie, une branche nous frôle,
Mais votre oreille est close aux bruits de la forêt
Et votre âme où je bois demeure taciturne
En livrant son bonheur limpide, comme l’urne,
Quand l’eau de la fontaine y déborde, se tait.

Hélas ! nous avons eu notre heure sur la terre ;
Résignons-nous, ma bien-aimée, et louons Dieu.

Ce soir je reprendrai mon chemin solitaire,
Dans les champs où la nuit traîne son manteau bleu :
J’irai, respirant l’air que l’herbe en fleurs embaume,
Triste et pressant le pas comme ceux qui vont seuls ;
Je verrai les hameaux s’endormir sous le chaume,