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promontoires de cette côte rocheuse, des baies profondes s’enfoncent dans le continent, bordées de hautes falaises et de coteaux boisés, et le flot de marée permet aux navires de remonter, à plusieurs kilomètres, dans de larges couloirs semblables à des fiords norvégiens. L’aspect général et la structure de la côte bretonne rappelleraient aussi ceux des pays Scandinaves si la température n’y était en général d’une extrême douceur, bien supérieure à la moyenne que comporte sa latitude. Grâce à l’haleine toujours moite de la mer et à ce grand courant d’eau tiède, apporté par les tropiques et qui ne s’est qu’à moitié refroidi en contournant les côtes glacées du Groenland et du Spitzberg, la gelée y est tout à fait inconnue ; et dans les gorges les plus abruptes, jusqu’à la limite même où viennent déferler les vagues, en face d’une mer souvent démontée et terrible, on voit croître paisiblement les arbres et s’épanouir les fleurs de la côte ensoleillée de la Provence, de la Rivière de Gênes, et même du Nord de l’Afrique.

Le massif continental cependant est toujours âpre et sévère ; c’est bien la « vieille terre de granit, recouverte de chênes » chantée par son poète et dont les ondulations un peu monotones se succèdent sans manquer cependant de grandeur ni même d’harmonie. Le pays se déboise graduellement aux approches de la mer ; et c’est alors la vaste lande, avec ses innombrables petits bosquets de chênes un peu rabougris, tantôt rougie et dorée par les fleurs des bruyères, des ajoncs et des genêts, le plus souvent terne, broussailleuse, frangée de grandes plaques verdâtres, couverte d’un assez maigre gazon ou de graminées, entrecoupée de taillis, sans grand relief, hérissée de blocs et de rochers qui ont crevé un mince épiderme de terre végétale assez pauvre, et çà et là montrent à nu les fragmens d’une énorme ossature minérale bosselée.

A la limite de la lande se développe le grand rempart dentelé de rochers et de falaises granitiques et schisteuses qui entoure toute la Bretagne, se découpant en une infinité de promontoires, de caps, de saillies, d’éperons, d’anfractuosités, d’échancrures, du dessin le plus varié. A sa base et dans un superbe désordre, des blocs écroulés dans la mer ; au large, une ligne presque continue d’îles, d’écueils et de récifs noyés, à fleur d’eau ou complètement émergés. C’est réellement par milliers qu’on peut les compter. Ce sont les débris toujours en place et en réalité les jalons certains de l’ancienne côte bretonne, présentant toutes les formes,