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Manche et se reliait à la pointe de la Cornouaille anglaise. L’Océan s’est ouvert brusquement un passage entre les deux pays qui devaient être la France et l’Angleterre ; et les îles bretonnes et normandes sont restées comme des ruines au milieu des eaux, témoins irrécusables de l’ancienne soudure depuis si longtemps brisée. Aucune mer du globe n’est peut-être plus tourmentée que la mer de Bretagne. Elle le doit à la rencontre de deux courans qui s’y heurtent sans cesse et sont les extrémités des deux grandes branches du tiède Gulf-Stream de la Floride : l’une descendant du Nord de l’Europe après avoir accompli sa grandiose évolution le long des côtes d’Amérique ; l’autre remontant du Sud et du Sud-Est après avoir traversé l’Atlantique équatorial, longé l’Afrique occidentale, l’Espagne, la côte des Landes et l’ancien golfe du Poitou. Ces deux fleuves océaniens ont dérasé profondément le fond de la mer dans les parages de Bretagne ; et presque partout, dans la grande brèche qui sépare l’île d’Ouessant des îles Sorlingues, la sonde rencontre des fonds de roche entre lesquels les courans de marée atteignent souvent la vitesse des torrens en crue. Toute la côte bretonne est entourée d’une véritable ceinture d’îlots et d’écueils granitiques et schisteux, les uns émergés, les autres noyés ; et l’approche en serait extrêmement périlleuse, si le génie moderne ne les avait, au prix de mille efforts, très habilement transformés en repères au moyen de signaux de jour et de nuit merveilleusement variés.

En bloc, la Bretagne est une longue traînée de roches anciennes, presque toujours de granit noir, dessinant à peu près la forme d’un rectangle mesurant plus de 200 kilomètres de l’Est à l’Ouest sur 100 kilomètres environ du Nord au Sud, ce qui lui donne une superficie totale de 20000 kilomètres carrés, soit 2 millions d’hectares. Elle ne présente ni de hautes montagnes, ni de grandes vallées. Une seule chaîne la traverse dans sa plus grande longueur et se bifurque à peu près au centre du pays en deux ramifications : les montagnes d’Arrée et les montagnes Noires. La ligne de faîte n’atteint pas en général 300 mètres ; quelques rares crêtes dépassent de très peu cette altitude. Les monts d’Arrée se prolongent jusqu’au cap Saint-Mathieu, les montagnes Noires jusqu’à la pointe du Raz : ce sont les deux saillies extrêmes de la Bretagne, ses deux cornes en quelque sorte, entre lesquelles se creuse le golfe de l’Iroise, dont les découpures et les pénétrations forment la rade de Brest et la baie de Douarnenez.