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Marie de Médicis partit la première. Elle mourut à Cologne le 3 juillet 1642, non point dans un galetas, comme on l’a répété, mais dans l’ancienne maison de Rubens et entourée d’un nombreux domestique : quatre-vingts personnes au moins, d’après les legs énumérés dans son testament. Il est exact qu’elle devait à ses fournisseurs et que plusieurs de ses gens avaient fait des avances pour les dépenses de la maison ; mais c’est ce que nous voyons tous les jours autour de nous, dans les intérieurs où il n’y a pas d’ordre. La vieille reine avait encore sa vaisselle d’argent, qu’elle aurait certainement vendue si sa situation avait été ce qu’on a raconté. Marie de Médicis n’a donc pas terminé sa vie dans la misère ; elle n’en était qu’aux expédiens.

Cette grosse femme à scènes (qui jadis essayait de battre son mari, le roi Henri IV) n’avait manqué à personne en France. Sa mort y aurait passé inaperçue, si la Cour n’avait dû prendre le deuil selon les rites compliqués et barbares de l’ancienne monarchie. Mademoiselle fut obligée de s’enfermer dans les ténèbres d’une chambre tendue de noir et aux fenêtres aveuglées. Il lui en coûta moins qu’il ne lui en eût coûté en tout autre moment. Elle était alors très affectée de l’affaire Cinq-Mars, et abandonnée de tous à cause de la nouvelle disgrâce de son père : le deuil lui fut un voile commode. « J’observai cette retraite, disent ses Mémoires, dans toute la régularité possible. Je n’eus pas de peine à me priver de recevoir des visites ; il m’arriva tout ce qu’éprouvent tous les malheureux : personne ne me vint chercher. »

Trois mois plus tard, le 12 septembre, Cinq-Mars fut décapité à Lyon avec son ami de Thou. Leur attitude devant la mort excita l’admiration universelle. Elle avait donc été belle au goût du temps, preuve que la mesure et la simplicité n’étaient pas plus de mode dans la conduite des hommes qu’en littérature ou pour l’architecture des jardins. En sortant du tribunal pour aller au supplice, Cinq-Mars et de Thou rencontrèrent les juges qui venaient de les condamner. Ils les embrassèrent et leur « firent chacun un beau compliment. » Une grande foule s’était assemblée devant le Palais : « ils la saluèrent de tous côtés profondément, avec une grâce nonpareille, » et montèrent en voiture dans un état d’exaltation. Ils se baisaient joyeusement, se donnaient rendez-vous au Paradis et saluaient le peuple comme des triomphateurs. De Thou battit des mains en apercevant l’échafaud, Cinq-Mars y monta le premier. « Il fit un tour sur l’échafaud, comme s’il eût