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Jamais le ministre n’avait paru plus inattaquable. Sa politique triomphait au dedans et au dehors. Il faut laisser parler un étranger, non suspect de partialité, sur la situation que nous avions prise en Europe sous son ministère : « Quelle différence entre l’état ou Richelieu avait reçu le gouvernement du royaume et celui où son administration l’avait élevé ! Avant lui, les Espagnols, en progrès sur toutes les frontières, non plus par des attaques impétueuses, mais par un envahissement mesuré et systématique, étaient sur le point d’isoler la France de toutes parts : maintenant, ils étaient partout refoulés. Avant Richelieu, les forces unies de l’Empire, de la ligue catholique et des armées espagnoles tenaient sous leur dépendance la rive gauche du Rhin et le fleuve lui-même, cette grande artère centrale de la vie européenne : maintenant, les Français dominaient en Lorraine, en Alsace, dans la plus grande partie de la contrée du Rhin ; leurs armées combattaient au centre de l’Allemagne. Auparavant, la Méditerranée, les passages de l’Italie leur étaient à peu près fermés : maintenant, ils occupaient un grand territoire dans la haute Italie, non pas à la suite d’une invasion passagère, mais après plusieurs grandes campagnes habilement conduites ; leurs flottes étaient victorieuses dans la mer Ligurienne, et menaçaient les portes de l’Espagne. Cette péninsule même, dont les forces unies avaient si longtemps fait la loi aux puissances européennes, était déchirée par la révolte de deux grandes provinces, dont une s’érigeait en royaume ; les avant-postes français n’étaient plus qu’à soixante lieues de Madrid. Richelieu avait assuré à la monarchie des Bourbons sa grande position dans le monde. L’âge de l’Espagne était passé, celui de la France était venu[1]. »

Une fête célèbre marqua cet apogée de puissance et de gloire. Richelieu était l’homme des ambitions multiples. Il ne lui avait pas suffi de protéger les gens de lettres et de fonder l’Académie française, ni même de faire travailler Corneille et Rotrou sur des canevas de sa façon. Le pédant qui se réveillait parfois en ce grand politique s’avisa de collaborer avec Desmarets, auteur d’un poème épique sur Clovis, à une tragi-comédie appelée Mirame, dont la première représentation fut un événement parisien. Aucune des armées du roi n’avait été « montée » avec autant de sollicitude et de prodigalité. C’est pour Mirame que fut bâtie la

  1. Ranke. loc. cit.