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théâtre du Marais depuis que Corneille y avait donné « la merveille du Cid. » Il ne manquait pas d’occasions de voir le Cid à la cour ou chez les grands : « Les comédiens, dit M. Lanson, furent appelés trois fois au Louvre pour le jouer, et deux fois à l’Hôtel de Richelieu[1] ; » mais on était trop impatient pour attendre une occasion ; chacun voulait voir, et tout de suite, la pièce qui soulevait un si prodigieux enthousiasme, et la foule se précipita Vieille rue du Temple. L’acteur Mondory, qui faisait Rodrigue, écrivait à Balzac le 18 janvier (1637) : « On a vu seoir en corps aux bancs de nos loges ceux qu’on ne voit d’ordinaire que dans la Chambre dorée et sur le siège des fleurs de lis. La foule a été si grande à nos portes, et notre lieu s’est trouvé si petit, que les recoins du théâtre qui servaient les autres fois comme de niches aux pages, ont été des places de faveur pour des cordons bleus, et la scène y a été d’ordinaire parée de chevaliers de l’ordre[2]. »

Il n’y eut donc plus de femmes qui n’allassent à la comédie quand elles le voulaient, et elles le voulaient presque toutes avec passion. Celles qui la voyaient à la Cour ou chez les particuliers ne s’en donnaient pas moins le ragoût des théâtres payans, car ce n’était pas la même chose ; malgré l’épuration du public, on y avait double spectacle, celui de la scène et celui de la salle. Les femmes des différentes classes abusèrent, comme les enfans des grands et avec des résultats analogues, d’un divertissement qui peut fausser l’esprit, lorsque rien n’y fait contrepoids. On n’a pas oublié que la plupart d’entre elles n’avaient jamais rien appris, qu’elles ne lisaient que des romans, et du genre fabuleux ; Honoré d’Urfé était un réaliste auprès de ses successeurs, les Gomberville et les La Calprenède. Le théâtre eut une action profonde sur ces esprits neufs. De plus en plus, tout était pour l’imagination, rien pour la raison, dans le développement intellectuel des femmes. Ce défaut d’équilibre se retrouva dans leur conduite, ainsi qu’il fallait s’y attendre. Il contribua à en faire des personnes auxquelles il fallait à tout prix des aventures, et, plus encore, des sensations rares ; c’est une curiosité que les décadens n’ont, pas inventée ; l’écrivain Pierre Costar « se fit durer » six mois une fièvre tierce par « volupté, » pour jouir des rêves maladifs accompagnant

  1. Corneille, (Coll. des Grands écrivains français, Hachette.)
  2. « On ne pourrait affirmer, dit M. Rigal, que l’usage de placer des spectateurs sur le théâtre ait commencé pour la première fois aux représentations du Cid. Du moins est-ce à une représentation du Cid que se rapporte la première mention de cet usage. »