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seulement de leur argent, mais de leurs conseils, de leur science, de leur crédit dans le Parlement. Ressemblance nouvelle avec les corporations du passé qui, presque toutes, se plaçaient sous un patronage reconnu et recouraient aux conseils et à l’arbitrage des autorités sociales.

L’organisation est aussi complète que possible ; elle donne toute satisfaction au point de vue social et humanitaire, et au point de vue économique, elle présente l’immense avantage de laisser un libre jeu à la loi de l’offre et de la demande, tout en sauvegardant la justice. En effet, grâce à l’institution des comités mixtes, les délégués des unions de patrons et des unions d’ouvriers peuvent discuter dans des conditions d’égalité au moins relative les taux des salaires et les conditions du contrat de louage d’ouvrage, qui reste un contrat libre. Il semble donc que la solution anglaise fondée sur l’association libre donne toute satisfaction aux revendications légitimes des travailleurs. Malheureusement un examen plus approfondi démontre qu’elle est insuffisante et qu’elle ne saurait être considérée comme définitive. En effet, les trade-unions alimentées exclusivement par les cotisations des ouvriers, sans aucun concours des patrons ni subvention de l’Etat, sont obligées de demander à leurs adhérens des sacrifices considérables. La cotisation des principales unions n’est jamais inférieure à 1 shilling (1 fr. 25) par semaine et parfois elle atteint 2 shillings (2 fr. 50). Les ouvriers d’élite, ceux qui ont une véritable habileté professionnelle, peuvent seuls faire face à une pareille charge.

Les nouvelles unions, composées d’ouvriers de catégorie très inférieure, de manœuvres, de portefaix, voire même d’employés des chemins de fer, du gaz, etc., n’ont jamais pu obtenir de leurs troupes faméliques des cotisations de cette importance, et elles ont dû renoncer à créer des institutions d’assistance et de prévoyance. Elles se bornent à percevoir quelques contributions à la caisse des grèves. Un très grand nombre d’ouvriers ne peut même pas subvenir aux sacrifices de toute nature que nécessite l’organisation d’une union. Il en résulte que tandis qu’un million et demi d’ouvriers d’élite jouit, dans toute sa plénitude, des bienfaits du régime corporatif, six ou sept millions de travailleurs misérables et désespérés sont privés de toute représentation de leurs intérêts et de tous les secours dont ils auraient tant besoin. Il n’est donc pas étonnant qu’ils se laissent séduire par les socialistes,