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un de nos ports avec une escadre, il faudrait lui envoyer un pilote, faire taire nos canons et rentrer nos torpilleurs pour ne pas l’effaroucher, et ensuite, quand il serait dans la rade, on peut être assuré que nos batteries croisant leurs feux, et nos torpilleurs rendus à la liberté, anéantiraient en quelques instans les cuirassés et les croiseurs qui auraient osé porter ainsi le pavillon anglais à bonne portée de leurs coups.

Cette entreprise insensée, les Américains n’ont eu l’idée de l’exécuter ni devant San Juan de Porto Rico, ni pour s’emparer de Santiago, et cependant le feu des batteries espagnoles n’a pas été très actif, et les canons du fort du Morro étaient bien loin d’avoir la puissance de ceux qui défendent nos rades de Cherbourg, de Brest et de Toulon. Devant San Juan, les Américains avaient pour objectifs de détruire le fort du Morro et de terroriser la population. La position prise par les navires américains était excellente ; la place était surprise, le fort du Morro ne possédait que des canons de 16 centimètres pour riposter à des cuirassés, et cependant un bombardement de plusieurs heures, aussi violent que possible, eut pour résultat cinq ou six tués ou blessés ; quelques égratignures aux épaulemens du Morro ; et la population, si elle avait pu avoir quelque inquiétude en voyant arriver la flotte américaine, dut être parfaitement tranquillisée, quand elle eut constaté l’impuissance du feu de ses ennemis, obligés de battre en retraite pour aller se ravitailler, après avoir vidé leurs soutes et éprouvé eux-mêmes des avaries. Devant Santiago de Cuba, le commodore Schley, avec une division renforcée, essaie une attaque ; il bombarde pendant deux heures et ne produit aucun effet. Si bien que l’amiral Sampson, quand il prend le commandement, doit se résoudre à organiser un blocus, après avoir reconnu que le forcement de la passe, si médiocrement défendue qu’elle soit, est impossible ; et, en effet, les navires américains se bornèrent à empêcher la sortie de l’escadre que l’amiral Cervera avait, pour des raisons qui nous échappent, enfermée dans une rade où il était à l’abri, il est vrai, mais où il avait cessé de compter pour la défense de Cuba et de l’Espagne.

Ces faits, relativement récens, sont de nature à frapper les esprits les plus enclins à s’exagérer les effets destructeurs des gros canons qui arment les flottes. Mais, pour tout militaire qui a tant soit peu lu et réfléchi, ils étaient absolument superflus. Un fort passablement installé, passablement servi, même