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On peut espérer que l’affaire de Fachoda a réveillé le peuple français, auquel une campagne de plus de deux années a fait connaître ses ennemis intérieurs et extérieurs. Une poussée s’est produite ; comprimée pour le moment, elle n’aboutira que plus sûrement à une explosion, qui fera sortir et grandir rapidement les chefs, les véritables chefs, s’oubliant eux-mêmes, voués d’âme et de corps aux intérêts, à la grandeur et à la gloire de leur pays et convaincus que la guerre, avec ses risques, ses hécatombes, ses ruines, ses responsabilités effroyables, détruit moins de richesses, moins de forces matérielles et morales qu’une paix honteuse, avilissante, qui aboutirait sûrement à l’anéantissement de notre patrie. Nous aurons donc des chefs ; la Marine elle-même en aura un demain. Mais cet homme, que voudra-t-il ? que trouvera-t-il ? que fera-t-il ?


II

Et d’abord, que voudra ce chef de la Marine ? Autrement dit, quels doivent être, aujourd’hui, les objectifs de la marine militaire de la France et que faut-il prévoir pour les réaliser ?

Assurer la protection du territoire contre des invasions par débarquement ou contre des incursions sur nos côtes, dangereuses au point de vue des intérêts vitaux de la défense nationale.

On a trop parlé de l’insuffisance de la protection de notre frontière maritime, qui était réellement surabondante au moment de Fachoda, pour que nous ne soyons pas obligé d’y revenir. L’argument le plus sérieux, qu’on a présenté, — à la fois en vue de justifier une déclaration d’insuffisance, et aussi, hélas ! pour célébrer les grands services, qu’on se vantait d’avoir rendus en quelques mois, — est fondé sur l’absence du personnel nécessaire pour servir nos batteries de côte, au moment de ce qu’on appelle le branle-bas de la première heure.

Pour le cas de Fachoda, c’est-à-dire d’une guerre possible avec l’Angleterre seulement, les forces de l’armée de terre étant disponibles, cet argument est sans valeur. Si mal organisées, si creuses que fussent les troupes de la marine, elles fournissaient un appoint important, et rien n’était plus facile que de transporter rapidement, partout où ils étaient nécessaires, des artilleurs empruntés à l’armée de terre, lesquels, au contact de leurs camarades de l’artillerie de marine, pouvaient s’instruire en quelques