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dans leur élection par le P. Picard ou le P. Adéodat ! Ceux de ces messieurs que M. Bulot connaît, à la bonne heure ! mais il ne peut connaître tout le monde, et l’on voit alors l’imprudence qu’il y a, — quand on ne se résigne pas à passer pour être de connivence avec les Croix, suspect par conséquent d’un sombre cléricalisme, — à entrer dans le Parlement sans avoir l’honneur d’être connu de M. le procureur de la République.

Les Feuillans et les Girondins que M. le procureur Bulot marquait ainsi pour la prochaine charrette n’ont pas accepté de bonne grâce cet arrêt qui les condamnait. Ils ont pensé que M. le procureur de la République, dans l’exercice de ses fonctions, avait outrepassé malencontreusement ses droits, et ils s’en sont plaints, qui, par lettre, qui à la tribune, chacun selon la pente de son tempérament, celui-ci en style académique et celui-là d’une interjection brutale. Deux séances durant, durant quarante-huit heures, M. Bulot a été sur la sellette, M. le garde des Sceaux ne l’a couvert qu’en alléguant les inexactitudes d’une sténographie hâtive, et pour lui M. le président du Conseil a prononcé un plaidoyer, qui sentait la gêne d’une position fausse et qui certainement ne comptera pas parmi ses meilleurs. Un instant, les choses ont failli se gâter. M. le président de la Chambre lui-même s’était ému ; dans la salle grondait la rumeur des grands jours, et il a fallu expulser manu militari, par le simulacre de la force, M. Charles Bernard, député de Bordeaux, dont la colère débordait en des excès de langage, peu compatibles avec la dignité de la représentation nationale.

Comme suite à tout ce tapage, on a parlé soit du déplacement, soit même de la révocation de M. le procureur de la République, qui n’a été toutefois, jusqu’à présent, ni révoqué, ni déplacé. Pour nous, qui assistons du dehors au spectacle de ces querelles et de ces agitations, nous comprenons fort bien que le ministère ne se soit pas empressé de jeter en pâture aux députés assoiffés de vengeance la tête de son bon serviteur, et nous estimons qu’il y aurait à la fois manque de goût et petitesse de sentimens à la réclamer encore. L’incident est clos, et si nous avons touché ce sujet en passant, c’est seulement pour ne pas laisser perdre une observation d’une portée plus longue et d’une plus grande conséquence : à savoir qu’il est parfois assez malaisé de reconnaître si la politique se fait au Palais de Justice ou si la justice se rend au Palais-Bourbon, et que noua nous enfonçons de plus en plus dans cette espèce d’anarchie latente, inconsciente et comme dormante, qui naît de la confusion quotidienne des devoirs et des pouvoirs.