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mille âmes, Ganges ne peut suffire à la confection complète de la bonneterie que livrent ses fabricans. Mais, fait curieux, le travail de la couture des bas n’occupe personne à l’est de Ganges, vers Saint-Hippolyte, tandis qu’il est tellement en honneur au nord et à Touest de cette même ville, vers Sumène, le Vigan, Bréau, Bez (Gard), Brissac, le Pouget, le Causse de la Selle (Hérault), que l’agriculture ne trouve pas toujours dans ces localités de femmes à employer. Il est certain que cette besogne manuelle, mieux rémunérée que le travail des champs, est de nature à tenter les jeunes filles.

En 1896, d’après les documens qu’on a bien voulu nous transmettre, le canton entier de Ganges, comprenant six communes en sus des trois mentionnées plus haut, se présentait sous l’aspect suivant au point de vue de l’industrie de la soie :


Nombres d’usines Métiers Personnel occupé « Salaires annuels Chiffres d’affaires annuel
Hommes Femmes francs francs
Sériciculture « « 500 2 300 120 000 270 000
Filature 21 1 190 bassins 75 1 475 800 000 3 000 000
Moulinage 12 30 500 broches 100 360 200 000 1 500 000
Bonneterie 10 360 métiers 400 300 500 000 2 000 000
Totaux 43 « 1 075 4 435 1 620 000 6 770 000
+ 5 500 ouvriers

Le canton est peuplé de 9 000 habitans environ.

Quel est en somme l’état présent et l’avenir de la bonneterie de grand luxe à Ganges ? A l’époque actuelle, malgré l’envahissement de la « camelote, » de l’article médiocre à bon marché, ou peut-être à cause même de cet envahissement, l’antique industrie du bas de soie fin, un moment ébranlée, de 1860 à 1880, tend à se maintenir. Son extrême perfection l’a sauvée. Les anciennes et nombreuses fabriques similaires de la région n’ont pu soutenir la concurrence vitale, se sont fermées pour la plupart, et cela parce que leurs articles n’atteignaient pas à l’excellence de ceux de Ganges. Française ou cosmopolite, la clientèle élégante des grands magasins parisiens exigera toujours, à côté d’articles courans faciles à créer ailleurs, des marchandises extra. Or celles-ci ne peuvent s’obtenir qu’à Ganges. Nous avons déjà vu que la nature de la soie du pays, celle même des eaux, favorisent depuis bien des générations les faiseurs de Ganges ; nous avons montré que depuis longtemps, par une tradition ininterrompue, de modestes ouvriers cévenols acquièrent un goût, une habileté