Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/699

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans des cas moins extrêmes que celui de Dalgue, que devenaient les bas présentant quelque tare de nature à les faire exclure par les contrôleurs ? Les Mémoires du chevalier de Mautord[1] nous l’apprennent. Mautord, jeune officier, quittant sa famille qui habite le nord de la France, pour rejoindre son régiment à Perpignan, passe à Nîmes, en octobre 1768. Après avoir remarqué que cette ville était célèbre par ses manufactures de soie, il ajoute : « On est surpris de voir la mise des femmes du commun de ce pays. Presque toutes, même les servantes, y sont en bas de soie avec un soulier bien dégagé. Elles portent un jupon très court qui laisse apercevoir le bas de la jambe qu’elles ont bien faite. »

Nous avons cru devoir mentionner l’observation de Mautord. S’il nous montre d’abord que les articles inférieurs étaient vendus aux femmes de la ville et utilisés par elles, il nous confirme aussi ce que M. Babeau, dans ses curieuses recherches sur l’ancien régime, proclame bien haut, à savoir : que les femmes, non de la noblesse ou de la bourgeoisie, mais du peuple, déployaient alors, dans certains temps ou dans certaines provinces, une élégance de toilette occasionnelle si l’on veut, mais qui étonnerait nos contemporains, habitués à la désespérante uniformité d’aujourd’hui. Comme le même auteur, nous pensons que les gracieuses paysannes ou bergères d’opéra-comique ont été les images embellies d’originaux rares sans doute, mais non introuvables.

Désormais, nous allons, dans notre exposition, laisser de côté non seulement l’ensemble de la France et le Languedoc, mais même la ville de Nîmes, pour nous limiter à une bourgade du Languedoc, qui déjà au XVIIIe siècle fabriquait de la bonneterie de soie estimée et aujourd’hui même, à force de restrictions successives, borne son industrie encore intéressante et considérable à la production exclusive de l’article fin en pure soie. Ce phénomène de sélection, très curieux à une époque où les spécialités disparaissent, où le bon marché se recherche avant tout, s’est manifesté à Ganges (Hérault). Transportons-nous dans cette localité, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Montpellier.

  1. Publiés chez Plon par le baron Tillette de Clermont-Tonnerre.