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rameaux ; l’autre, qui longe la rive Nord, se bifurque aussi en deux : le canal de la Madeleine et le canal Saint-Félix, ce dernier se bifurquant encore pour former le bras de la Bourse et celui de l’Hôpital. Toutes ces ramifications vont se rejoindre, à 1 600 mètres en aval, à la sortie de la ville, après avoir donné naissance à un groupe d’îles allongées, l’île Beaulieu, la Prairie-d’Amont, la Prairie-d’Aval, l’île Sainte-Anne, l’île de Biesse, l’île des Récollets, la Prairie-au-Duc, l’île Lemaire, l’île de la Madeleine, l’île Gloriette, l’île Feydeau, etc., séparées par des bras presque tous navigables, couverts de bateaux, d’embarcations et de nacelles de toutes formes et de toutes dimensions, et que l’on traverse de rive à rive par deux longues lignes de six ponts chacune. Au-dessous de la ligne aval des ponts, entre les faubourgs de Trentemoult et de Chantenay, la Loire est accessible aux bateaux de mer ; au-dessus, c’est un port fluvial dont les parties les plus animées sont le canal Saint-Félix, le bras de la Madeleine et l’Erdre canalisée, tête de ligne du canal de Nantes à Brest, d’un intérêt plus militaire que commercial.

Cette heureuse disposition des lieux a fait de tout temps la fortune de Nantes ; et, malgré la fréquence des incursions normandes, les désordres intérieurs, les ruines passagères produites par les guerres étrangères ou civiles, cette fortune s’est maintenue et s’est toujours accrue jusqu’au siècle dernier. La vieille cité du moyen âge a même été pendant quelque temps le premier port de France en relation avec le nouveau monde. La célèbre Compagnie des Indes fut pour elle une source de richesses énormes, sinon très honorables ; et le déplorable « commerce de l’ébène » procura pendant quelque temps à ses armateurs de fabuleux revenus ; on sait qu’on désignait sous ce nom l’horrible marché des esclaves noirs. On allait les acheter par milliers sur les côtes de Guinée, moyennant toutes sortes de produits manufacturés de médiocre valeur et souvent de rebut, toiles, indiennes, lainages, vieux fusils, liqueurs frelatées et malsaines. On les empilait à fond de cale et sur le pont de mauvais navires assez mal aménagés. On jetait sans pitié à la mer l’inévitable déchet de cette lamentable cargaison, morts, mourans, ou même seulement malades. On vendait le reste à tout prix aux Antilles et dans tous les ports de la mer des Indes, sous la protection de l’autorité royale, ou on l’échangeait contre du rhum, des épices, du cacao, du coton, du sucre, du café ; et c’est alors que les armateurs nantais