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constitutionnel serait-il improvisé dans une société telle que la vôtre, où les droits les plus élémentaires sont inconnus, où la sécurité de la vie et des biens n’est garantie ni par les mœurs publiques, ni par une force qui s’impose à l’arbitraire, ni même par des juridictions bien définies et respectées ?

— Il faut cependant, dit-il, commencer par quelque chose.

— Sans doute, repartis-je, mais par le commencement. La constitution était bâtie en l’air, comme la ville des oiseaux d’Aristophane. Son architecture idéale ne reposait sur aucune base. Il eût été nécessaire de s’occuper d’abord des conditions premières, de créer et de développer la vie municipale, l’instruction publique, le progrès industriel, les voies de communication ; il eût fallu effacer, par de patiens et pratiques efforts, par la lente pénétration de la tolérance et de la liberté, la distinction funeste entre le Turc, qui est le conquérant, et le chrétien, qui est le vaincu ; enfin préparer, par une série d’émancipations graduées, par trente ans, un demi-siècle peut-être de travail modeste et continu, l’avènement d’institutions plus élevées et susceptibles, après cette élaboration courageuse et sincère, de vivre el de fonctionner.

— Pourquoi donc alors, objecta le député, nous a-t-on présenté pendant dix-huit mois le mirage du système constitutionnel, pour le supprimer ensuite avec un tel dédain ?

— Vous avouerez, lui répondis-je, qu’il m’est bien difficile de traiter cette question, dont la Porte connaît seule tous les élémens. Mais je vous dirai que, dans ma pensée, vos amis et vous, n’avez bien connu ni votre souverain, ni votre pays, ni les institutions elles-mêmes. Si vous y aviez regardé de plus près, vous n’eussiez été ni abusés ni déçus. Je ne reviendrai pas sur la constitution dont les côtés faibles n’étaient que trop évidens ; mais vous n’ignoriez pas qu’elle avait été promulguée, non point par une soudaine passion pour les réformes, mais afin de faire échec à l’Europe ; que, de plus, la population n’en prenait aucun souci : enfin, vous en avez vu les principes démentis, dès les premiers jours, par le coup d’Etat qui a supprimé Midhat-Pacha. J’ajouterai, en ce qui concerne le Sultan, que vos désirs vous ont trompés sur le caractère de ses actes et de son langage. Il n’a jamais eu un instant l’idée de lier ou de diminuer la puissance qu’il a reçue de ses ancêtres ; il a considéré que, conformément aux prérogatives à la fois exécutives, législatives et judiciaires dont il est, de droit divin, investi, il prenait une décision diplomatique ou intérieure qui lui semblait