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pourchassait à outrance les Bulgares suspects, et le pouvoir exécutif demeurait, par tout l’empire, sans limite et sans contrôle. Bien plus, en dépit des belles phrases sur l’égalité des races, lorsqu’il institua une garde civique pour Constantinople et une milice nationale pour les provinces, les musulmans seuls y furent admis, conservant ainsi la situation privilégiée qui dérive à leurs yeux de la conquête et leur donne en effet la prépondérance. Cette disposition, acceptée très volontiers par les non-musulmans, qui se montraient ainsi bien peu dignes d’être libres, attestait chez les ministres du Sultan un médiocre souci de la constitution ; leur langage même prouvait à cet égard leur dédaigneuse indifférence : « Quant aux chrétiens, on verra plus tard, » disait le grand vizir. « Les chrétiens, affirmait le président du Conseil d’État, ne peuvent compter de notre part que sur de la tolérance. » Les principes réels du gouvernement impérial étant ainsi placés au-dessus de toute atteinte, on pouvait continuer à se donner le luxe d’une Chambre et d’un Sénat.

Les élections eurent donc lieu en novembre, mais il faut bien dire qu’au milieu des émotions du champ de bataille, l’attention du pays s’en trouvait absolument détournée. On n’a jamais su bien au juste comment les opérations électorales avaient été conduites : elles firent encore moins de bruit que les premières ; on en parlait très peu dans les feuilles publiques ; et, lorsqu’on apprit un jour que la Chambre avait été élue, on savait à peine que les électeurs eussent été convoqués.

Néanmoins le Sultan présida, comme précédemment, la séance d’ouverture : il fit lire aux députés un discours où il vantait avec raison le dévouement de ses sujets, et, par une métaphore quelque peu excessive, désignait la constitution « comme l’ancre de salut de l’empire. » Il énumérait ensuite avec complaisance les multiples projets de loi qui devaient occuper la session. On remarqua le silence qu’il avait gardé sur la prise de Plevna, qu’on avait sue la veille : peut-être voulait-il établir ainsi que les événemens politiques ne regardaient pas une assemblée exclusivement législative et éviter les condoléances ou les discussions, qu’il jugeait incompatibles avec le respect de sa dignité suprême. La Chambre, par déférence ou par crainte, n’insista pas, en ce moment du moins, sur les questions brûlantes, et commença l’étude des lois présentées, comme si l’on n’eût pas été au milieu d’un orage. Le contraste était saisissant entre le calme de ces séances et les