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par une barbe noire, fine et serrée, ses grands yeux fixés à distance dans le vague, son maintien immobile et sévère ne révélaient aucune impression précise. Sa physionomie, que j’observais avec attention, me parut celle d’un homme indifférent aux hommages, énergique et nerveux, un peu sombre, inflexible peut-être, avant tout pensif et secret.

Son discours fut lu par un secrétaire. Ce document, composé avec beaucoup d’art, exposait d’abord les difficultés présentes, puis énumérait les principes généraux de la constitution, les nombreux projets de loi soumis au parlement sur les vilayets, la presse, les tribunaux, les élections, les finances, etc., tout un programme d’une telle variété et d’une telle étendue qu’il avait l’air quelque peu chimérique. Puis, après une allusion à la conclusion prochaine de la paix avec la Serbie et le Monténégro, le Sultan abordait la question capitale, la rupture de la Conférence. Il disait avoir montré les dispositions les plus favorables aux conseils et aux désirs des grandes Cours « en tant qu’ils seraient conformes aux traités, au droit des gens et aux intérêts du pays. » Selon lui, le désaccord ne portait pas « sur les principes, mais sur leur mode d’application ; » il prétendait « les développer, tout en demeurant fidèle à son devoir, qui était de ne souffrir aucune atteinte à la gloire et à l’indépendance de l’empire. » Il terminait en exprimant l’espoir que ces intentions, manifestées avant et après la Conférence, « ne pourraient que raffermir les rapports amicaux qui relient le gouvernement au concert européen. »

Ce langage calme et fier, qui reproduisait parfaitement la tactique suivie au cours de la crise et indiquait de si séduisantes perspectives, ne fut cependant accueilli que par une respectueuse et froide déférence. Peut-être l’attitude un peu morne du souverain laissait-elle l’assemblée indécise ; peut-être l’absence calculée du représentant de la Russie paraissait-elle l’indice émouvant d’une guerre certaine. Peut-être aussi une telle accumulation de projets de lois et de réformes, présentés à des députés dont la plupart, dénués de toute compétence législative, ne savaient même pas ce que c’est qu’un budget, inspirait-elle un scepticisme inquiet. Aussitôt après cette lecture, le Sultan se retira, suivi de sa maison militaire, à la hâte, sans que son départ fût salué par des marques d’enthousiasme. Le ministre des Affaires étrangères s’approcha alors du corps diplomatique, le remercia de sa présence, et nous adressa quelques phrases sur les sentimens élevés du