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ressemblait « à une bibliothèque renversée ; » il n’en était pas moins un homme de valeur, actif, laborieux, qui parlait avec une agréable facilité. Il était désigné d’avance pour la présidence de la Chambre. Je ne voudrais pas oublier deux députés d’un autre genre, et qui eussent paru un peu singuliers en Occident, le khodja Moustapha, cher au monde des mosquées, prédicateur célèbre par son éloquence enthousiaste, et aussi le chef des derviches tourneurs de Péra, que son zèle religieux, et surtout ses évolutions chorégraphiques, avaient rendu très populaire.

Conformément au statut, la Porte adjoignit à cette assemblée, en très grande majorité musulmane, et dont l’assentiment n’était point douteux, un Sénat de vingt-cinq membres choisis parmi les hauts fonctionnaires, et le Parlement se trouva ainsi constitué. Le Sultan persévérait donc pour le moment dans la politique du vizir disgracié, mais, en cela encore il affirmait son pouvoir absolu, considérant qu’il accomplissait un acte de gouvernement, subordonné comme toute autre mesure à sa volonté souveraine. À ce titre, il jugea convenable d’entourer l’incident d’un appareil solennel, et quelques jours après, le 19 mars, il ouvrit en personne la session des Chambres dans ce même palais de Dolma-Bagtché, d’où Midhat-Pacha, six semaines auparavant, était parti pour l’exil.

Cette cérémonie eut lieu dans la grande salle qui est soutenue par des colonnes de porphyre, dominée par une haute coupole, et dont les fenêtres s’ouvrent sur les perspectives lumineuses du Bosphore. Il n’y avait qu’un seul siège, le trône du sultan Sélim. A droite, se tenaient les ministres, les conseillers d’Etat et les chefs des communautés chrétiennes ; à gauche, les chargés d’affaires des grandes Puissances (à l’exception de ceux de Russie et d’Allemagne, qui avaient cru devoir s’abstenir) et les ministres des Cours secondaires : auprès d’eux, le Cheik-ul-Islam, le frère du chérif de la Mecque, les ulémas de premier rang, les maréchaux et généraux de division ; en face, les sénateurs et députés. Lorsque ces divers groupes furent réunis en leurs places respectives, Abdul-Hamid, sortant de ses appartemens, parut au fond de la salle : il s’avança d’un pas rapide, accompagné de ses aides de camp. Il portait un costume militaire très simple, recouvert d’un dolman noir. Il ne répondit que par un geste de la main aux acclamations de ses sujets, et demeura debout devant le trône, appuyé sur son sabre. Son visage maigre et brun, ses traits réguliers, encadrés