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accoutumée, ne pouvait en rien étonner le ministre. Il partit de son conak entouré de l’appareil en usage pour les personnages de son rang : sa voiture était précédée et escortée par des officiers et des cawas à cheval. Il fut reçu comme d’ordinaire à son arrivée par les chambellans de service, et introduit dans un salon d’attente. Mais il n’entra point chez le souverain. La scène préparée eut lieu sur-le-champ, aussi rapide que décisive. Le grand maréchal du palais, Saïd-Pacha, s’avança au-devant de lui, et, au nom du Padischah, lui redemanda solennellement les sceaux de l’Etat. En présence d’un tel ordre, régulièrement apporté par le représentant du prince, toute discussion était vaine. On ne saurait dire si Midhat essaya de réclamer ou de protester : aucun détail précis ne nous a été donné sur son attitude. Divers bruits contradictoires ont couru à cet égard, mais, en l’absence de témoignages autorisés, je crois vraisemblable que cet homme instruit par expérience des procédés nécessaires dans les coups d’Etat comprit, quelles que fussent sa surprise et sa colère, n’avoir qu’à s’incliner devant une volonté inflexible. Quoi qu’il en soit, il vit aussitôt qu’il ne s’agissait pas d’une simple disgrâce : arrêté par les officiers qui assistaient Saïd-Pacha, il fut entraîné au dehors sur la terrasse, embarqué sur l’heure dans un caïque, et conduit à bord du yacht impérial, qui stationnait près du rivage. Ce bâtiment leva l’ancre immédiatement et s’éloigna à toute vapeur dans la mer de Marmara. Il emmenait à Brindisi le vizir déchu et expulsé de l’empire, désespéré sans doute de cet écroulement subit de sa fortune et de ses espérances, mais dont le sort, si rude qu’il fût, attestait cependant l’adoucissement relatif des mœurs politiques dans son pays, car, jadis, les crises analogues avaient un autre dénoûment[1].


VI

Le bâtiment qui emportait Midhat avait déjà doublé la pointe du Sérail, lorsque la nouvelle de cet événement se répandit dans la ville, où elle avait été apportée par quelques personnes en

  1. Après diverses péripéties, Midhat-Pacha, qui ne revint jamais au pouvoir, fut cependant nommé vali de Smyrne. Mais, disgracié de nouveau, et cette fois pour jamais, saisi, emprisonné, jugé à Constantinople et condamné à mort comme coupable du renversement d’Abdul-Azis, il fut relégué, par commutation de peine, dans l’Hedjaz, où il mourut subitement.