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soumises qui endorment les susceptibilités augustes. Lorsque, pour l’éprouver peut-être, — un jour surtout à propos du changement d’un ministre, — le Sultan montrait quelque exigence, il discutait, résistait ou ne cédait qu’avec une répugnance encore impérieuse.

Abdul-Hamid, à mesure que ses réflexions et le temps lui donnaient plus d’assurance, supportait avec plus de peine cette tutelle malavisée, ayant accepté la constitution comme un incident politique, pour s’en servir à son gré et non point pour en faire l’apanage de l’un de ses sujets, s’irritait des contradictions, dissimulait encore, mais nourrissait d’amers ressentimens. Les familiers du palais, l’entourage immédiat. Mahmoud-Pacha, son beau-frère, Saïd-Pacha, grand maréchal de sa maison, Rédif-Pacha, ministre de la Guerre, témoins de ses soucis, tout prêts à une aveugle obéissance, devenaient les confidens de ses projets mystérieux. On plaçait sous ses yeux des notes qui signalaient des intrigues ourdies par le grand vizir ; on attribuait même à Midhat l’intention de ne plus laisser au padischah qu’un pouvoir purement spirituel.

Fondées ou non, ces insinuations développaient les colères secrètes et les rancunes d’Abdul-Hamid contre cet artisan de coups d’Etat, et surexcitaient en lui le désir d’user librement de ses inaliénables prérogatives, bientôt même de frapper avant d’être prévenu par quelque complot, comme l’avaient été ses prédécesseurs. Il lui était d’autant plus loisible d’y parvenir que des suggestions ingénieuses, ou peut-être ses études personnelles, lui fournissaient un moyen très simple de se satisfaire sans recourir à son autorité absolue et sans sortir de la stricte légalité. Il se trouvait en effet que la constitution, dans une vague formule, sanctionnait d’avance la décision qu’il méditait de prendre. Un des articles autorisait le Sultan « à expulser du territoire ceux qui, à la suite d’informations recueillies par l’administration de la police, seraient reconnus comme portant atteinte à la sûreté de l’Etat. » Par inadvertance, ou bien pour se donner une arme contre ses adversaires éventuels, Midhat avait inséré là, en des termes évidemment applicables à tout individu suspect, étranger ou indigène, une disposition indéfinie qu’un législateur prévoyant, surtout en Turquie, eût assurément écartée. Son œuvre se retournait contre lui, et, la « sûreté de l’Etat » étant intimement liée à celle du prince, dès que celui-ci se jugeait menacé d’après un