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Quand M. de Bourgoing m’avait accrédité auprès de Midhat-Pacha, nous avions remarqué la froideur majestueuse de ce personnage : il avait l’air de planer avec sérénité sur des événemens paisibles. A Constantinople, les groupes populaires regardaient, avec une curiosité fort gaie et presque narquoise, les départs successifs des bâtimens qui emportaient les ambassadeurs, et dont les pavillons s’effaçaient tour à tour, comme le dernier espoir de la paix, dans les brumes de la mer de Marmara.

Il semblait donc qu’on n’eût plus à s’occuper désormais que de la constitution. La guerre, après tout, n’était pas déclarée ; en poursuivant les préparatifs militaires, la Porte parut s’appliquer, en complète liberté d’esprit, à joindre au texte constitutionnel les lois organiques qui devaient en être les corollaires. Ce n’était pas un travail facile, étant donnés non seulement l’état des idées et des mœurs ottomanes, mais surtout les formes inaccoutumées du document impérial, complètement étranger aux conceptions politiques de l’Orient. A la suite de ces déclarations libérales, qui n’ont de valeur que lorsqu’elles constatent et consacrent une situation réelle, les législateurs improvisés avaient développé une série d’institutions empruntées à divers statuts parlementaires dont ils ignoraient ou dédaignaient le sens et le mécanisme. Sectaires naïfs, épris de formules, dominés surtout par l’arrière-pensée d’évincer la diplomatie de l’Occident, ils avaient fait une œuvre d’imagination, pompeuse et inapplicable, qui ne correspondait ni aux usages, ni aux besoins immédiats, ni à la civilisation des peuples, et qui se trouvait superposée à une société incapable de s’en servir, une façade isolée, un décor derrière lequel subsistait intact l’édifice séculaire de l’Empire.

Le texte élaboré par leur demi-science était fort régulier. Le préambule était rempli de mots sonores : progrès, concorde, égalité, prospérité, responsabilité ministérielle, contrôle parlementaire et financier, indépendance judiciaire ; les articles instituaient une Chambre des députés élue, un Sénat nommé par le prince, un budget voté, un Conseil des ministres dirigé par le grand vizir, une magistrature et une administration hiérarchisées. Il ne manquait à cette compilation de principes et à cette organisation correcte qu’une nation en mesure d’exercer ces droits et des pouvoirs publics décidés à les respecter. Au fond, toutes ces responsabilités et ces contrôles n’avaient et ne pouvaient avoir aucune valeur, puisqu’ils dépendaient, sans aucune