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Il faut donc se résigner, quand tous les partis sont une minorité dans le corps électoral, à ne plus trouver de majorité dans le parlement. S’ensuit-il que les pouvoirs publics seront frappés de paralysie ? L’art du gouvernement deviendra plus difficile ; il exigera plus de modération et de tact. Cependant le groupe le plus fort, ou le mieux en situation, pourra parfaitement assumer le pouvoir et l’exercer entre les autres partis, soit qu’il obtienne, à tour de rôle, le concours des différentes minorités, soit qu’il pratique une politique de conciliation, contre laquelle les extrêmes seuls pourraient s’insurger. Gouverner, c’est transiger. Vaut-il mieux que les transactions s’opèrent dans le huis-clos des comités, à la veille des élections, ou dans les bureaux du parlement, entre les représentans officiels des partis ? Dans le premier cas, elles assument la forme de coalitions qui faussent la sincérité du scrutin ; dans le second, elles ont chance d’aboutir à des mesures qui, tout en gardant le cachet de leurs origines politiques, font une part plus grande aux droits des minorités.

Lorsqu’en 1895, la Belgique remplaça les ballottages par la représentation proportionnelle dans l’élection des conseils communaux, il ne manqua pas d’esprits chagrins pour prédire que l’administration des grandes cités allait être livrée à l’anarchie. Bruxelles, Liège, Gand, entre autres localités, possèdent désormais des conseils où les libéraux, les catholiques et les socialistes sont représentés par trois groupes, dont aucun ne détient la majorité absolue. Cependant les collèges échevinaux, qui sont élus par le conseil pour exercer sous son contrôle le pouvoir administratif, sont restés aux mains des libéraux, et, récemment, un de leurs chefs les plus en vue, M. Braun, bourgmestre de Gand, déclarait à l’Association libérale de cette ville que jamais les administrateurs libéraux n’avaient eu un rôle plus facile et plus satisfaisant ; il leur avait suffi, sans abdiquer en rien leurs principes politiques, d’apporter dans leur gestion un peu de modération et beaucoup d’impartialité.

En général, ce sont les esprits conservateurs qui se préoccupent surtout du danger que la représentation proportionnelle ferait courir aux majorités gouvernementales. Et pourtant ce sont les droits acquis, les classes aisées, les élites intellectuelles, qui ont le plus d’intérêt à son adoption. Les partis contemporains tendent à se développer sur le terrain économique ; la politique menace de devenir une lutte de classes. En même temps,