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sitôt que chacun s’aperçut qu’il cessait d’être rare, il tomba dans le dernier mépris.

Heureux l’inventeur d’une nouvelle tresse, s’il réussit à tenir secrète, pendant quelques années, la nature du végétal qu’il a su lancer ! Le premier qui, vers 1890, reconnut dans un melon de la Réunion, appelé « chouchou, » que les naturels du pays excellent à décortiquer, la propriété de fournir des fibres souples, lustrées et légères, baptisa ce produit du nom de « yeddo, » pour dérouter les investigations de ses confrères, et, grâce au monopole dont il jouissait, vendit 125 francs le kilo les découpures de ce légume, qui vaut maintenant 20 francs, depuis que la source en est connue. Il en fut de même du « yowa, » que l’on fit passer pour venir des Indes, mais qui s’exportait réellement d’Haïti.

L’inédit de la matière ou la bizarrerie du dessin, — tel celui des coiffes de paille qui copiaient exactement des sièges de chaises, — ne constituent pas seuls le luxe de cette industrie ; il se fait, en Argovie, des broderies de paille, imitant la dentelle, ouvrages riches et chers ; en Bohême, on mélange à la paille des lames de soie naturelle ou artificielle, du bois, du crin de cheval. Les modèles de gaufrages, godrons, reliefs et passementeries de paille, remplissent des albums entiers chez les négocians de gros. Chez la modiste, les nattes, déjà teintes en diverses nuances ou enduites de produits chimiques, sont mariées à des gazes multicolores et traitées de cent façons.

La « forme » est le domaine d’un intermédiaire spécial : le fabricant de carcasses, chez qui les feutres entrent en « cloches, » les pailles en tresses ou en cornets et la sparterie en pièces, pour s’y modeler au goût du jour, et en ressortir sous des apparences qui rappellent vaguement, tantôt le bourrelet d’un bébé ou le sombrero d’un planteur, tantôt les antiques aumusses des chanoines ou les « bourguignotes » ogivales, empruntées aux gens de guerre du XVe siècle. Les feutres sont d’abord « apprêtés, » c’est-à-dire trempés dans la Comme adragante, ou dans celle des cerisiers de la Forêt-Noire, qui les pénètre et leur donne du corps. Séchés à l’étuve, puis rafraîchis et assouplis par un passage à la vapeur, ils sont enfin appliqués, — dressés, — sur des moules de bois, dont ils prennent le galbe et la structure. Un travail à la brosse, à l’éponge, et au fer chaud, leur communique le brillant définitif.

Les types trop contournés ou renversés pour se laisser « bloquer » d’une seule pièce sont façonnés en deux morceaux, fond