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à qualifier « chapeaux de paille, » bien que la tige des diverses céréales n’y ait le plus souvent aucune part. Ici, pourtant, la matière même peut atteindre, par le travail dont elle est l’objet, un chiffre très élevé. Telle est, en ce genre, la classique « paille d’Italie. » La plus fine provient des « pointes » du seigle, récolté avant sa maturité, dans quelques districts de Toscane. Les « pointes, » en langage de métier, ce sont les sommités de chaque tube, une longueur d’environ 25 centimètres auprès de l’épi. Le reste porte le nom de « pédale, » s : emploie fendu, est moins ferme, et a moins de valeur.

Avec ces « pointes » de Florence, les paysannes du cru confectionnent les capelines ou « cornets » d’Italie, sortes de sacs pointus, si souples et si moelleux au toucher qu’on dirait une étoffe. Les plus beaux peuvent valoir jusqu’à 200 et 300 francs : chaque tresse est faite de 13 bouts de paille et le cornet se compose de 220 rangées de tresses « remmaillées » ensemble. La paille devant rester humide, pour ne point casser, l’ouvrage s’exécute dans des caves ; aussi demande-t-il de longs mois, parce qu’une ouvrière, sous peine de perdre ses yeux, ne peut s’y adonner plus de quatre heures par jour. De pareils chefs-d’œuvre ont du reste été très rares de tout temps, et Paris tout entier n’en possède pas plus de quelques douzaines.

Mais l’Italie du Nord et la Suisse nous fournissent, à des conditions assez modestes, des tresses issues de la « pédale » du froment. Achetées par les négocians parisiens, elles sont envoyées dans l’Est et le Midi de la France, où nos villageoises trouvent leur gagne-pain de l’hiver à les coudre et à les façonner en chapeaux. Quant aux pailles d’origine française, elles sont trop grossières pour cet usage : l’Isère et le Tarn-et-Garonne cultivent exceptionnellement quelques graminées destinées aux sortes les plus communes ; tandis qu’il nous vient de la tresse estimée d’Allemagne ou d’Angleterre. Est-ce prédisposition de certains sols ? Seule, par exemple, la province de Liège est capable de fournir la « corde, » ou paille à picot, supérieure par l’éclat à celle même de Florence. Tout un coin de Belgique vit de cette industrie ; l’enfant y commence à tresser dès le jeune âge, plus tard, il apprend à coudre et, ouvrier adulte, vient tous les ans, en décembre, à Paris, repasser et « bloquer » des chapeaux sur les moules jusqu’en juin, où il retourne travailler à la terre dans son pays.