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toujours quelque chance de succès ; et si la Grande-Bretagne ne recule devant aucun sacrifice ni en hommes, ni en réputation, ni en intérêts, il n’est pas impossible qu’elle finisse, après une guerre longue et coûteuse, par écraser momentanément ses vaillans adversaires.

Cependant les premiers augures ne lui ont pas été favorables, et l’histoire lui adresse ses avertissemens. La Grèce, si petite qu’elle fût, n’a pas été terrassée par les Perses. La Suisse a su se dérobera l’accolade mortelle de l’Autriche. Les Gueux de Hollande ont su résister, pendant quatre-vingts années, à la puissance écrasante de l’Espagne, et les Boers ont le sang des Gueux dans leurs veines. Ils sont, en outre, bien armés. Ils combattent chez eux, sur un terrain qu’ils connaissent à fond, et qui est exceptionnellement avantageux pour la défense. Ils forment une armée d’infanterie montée, mobile et alerte, comme on n’en trouve nulle part. Leur tactique et leur stratégie font l’objet de l’admiration des états-majors européens. Surtout ils ne risquent leur vie ni pour les capitalistes d’une Chartered, ni pour une farce politique de paramountcy ; mais pour l’existence même et pour l’indépendance de leur patrie. Pro aris et focis ! Ils savent que la conscience de toute l’Europe est de leur côté, et ils se sentent inspirés par le bon droit de leur cause. Ce ne sont pas des mercenaires qui maugréent et qui pestent, mais des pères de famille qui prient ; et, d’un commun accord, ils ont levé leur bouclier au nom du Dieu de la justice. D’une telle force morale, le canon a eu rarement raison.

Mais supposez que le général Roberts réussisse à forcer les défilés du Drakenberg et de Spytfontein, que Bloemfontein soit occupée et que le siège soit mis devant Pretoria, c’est alors, sûrement, que les difficultés, loin de finir, ne feraient que commencer pour les Anglais. Le ravitaillement de leur camp serait des plus pénibles. Il leur faudrait une armée de 50 000 hommes au moins, rien que pour s’assurer la communication avec leur base d’opérations à Capetown, à Port-Elisabeth et à Durban. Leurs convois seraient constamment harcelés, leur armée d’investissement serait inquiétée jour et nuit par les Boers, bourdonnant en essaims autour de leur camp. Bientôt, comme à Ladysmith et à Modder-rivier, les assiégeans, pris entre deux feux, deviendraient les assiégés, et, quoique leur cavalerie pût alors leur rendre d’excellens services pour tenir à distance les bandes de guérillas, ils éprouveraient le