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les Highlands d’Ecosse. Toute possibilité d’arrangement n’est pas encore exclue. La chute de M. Chamberlain donnerait le signal du salut. Et si un cabinet mieux avisé, abandonnant toute idée de vengeance et ne faisant aucun cas des susceptibilités militaires, offrait à l’Afrique australe confédérée sa pleine indépendance, en ne se réservant que la partie est de la colonie du Cap proprement dite et quelques points indispensables sur la côte, peut-être l’Angleterre pourrait-elle encore changer en allié sans égal son ennemi redoutable. Mais qu’on ne tarde pas. C’est le moment suprême. Il faut que l’Angleterre revienne à elle-même et renonce à son rêve d’Impérialisme ; sinon, l’Impérialisme finira par la perdre, comme il perdit la Rome de l’antiquité.


XI

Cependant il ne faut pas s’abuser : la crainte que l’Angleterre ne recule pas devant la pente fatale est loin d’être chimérique. Le péril gît dans le détachement des principes moraux et l’insuffisance du mouvement chrétien. M. Fairfield l’a très bien dit : « Sans être un moraliste, je maintiens que la morale et l’impérialisme ne pourront jamais se concilier[1]. » Et, il y a trois ans, M. Chamberlain lui-même le reconnaissait encore : « Faire la guerre aux Boers afin de leur arracher les réformes voulues, serait unwise and immoral[2]. » La cause de cette incompatibilité est évidente. La morale impose avant tout le respect inaltérable des droits d’autrui, et l’Impérialisme ne peut, sans passer outre, faire sa lugubre besogne. Pour sauver les apparences, il faut donc une conception du droit qui lui enlève sa stabilité, son caractère objectif et sa sainteté inviolable, en le rendant si mobile qu’il se plie à votre gré. Or, c’est là justement ce qu’aujourd’hui la tendance des esprits est d’en faire. Tant que le principe moral et le principe du droit cherchaient leur point d’appui en Dieu et dans la révélation, ils étaient revêtus d’un caractère objectif, et nous imposaient une autorité devant laquelle les nations aussi bien que les individus n’avaient qu’à s’incliner. Mais tout est changé depuis le moment où Schleiermacher, chez les protestans, a placé toute notre connaissance théologique, y compris celle de la morale, sous l’empire du subjectivisme. Martensen,

  1. Stead, the Scandal, p. 26.
  2. Dans son discours du 8 mai 1896.