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Kemp, accusa, à Downing-street, les Boers d’avoir maltraité leurs esclaves, de les avoir torturés, et d’en avoir assassiné plusieurs ; une femme boer aurait même brûlé vif un nègre dans de l’eau bouillante. Le Secrétaire pour les Colonies ordonna une enquête. Une cour de circuit parcourut toute la contrée. Plus de mille témoins furent entendus, cinquante-huit Boers furent cités sous les inculpations les plus déshonorantes. Et après tout ce fracas, le 9 mars 1816, les juges se virent obligés d’acquitter tous ceux qui étaient accusés de meurtre ou de torture, et il fut prouvé que le nègre qu’on disait avoir été brûlé vif, rentrant un jour les pieds gelés, sa maîtresse, pour les dégeler, lui avait simplement versé un bain de pieds trop chaud. Certes, cet acquittement général fut pour les Boers une satisfaction, mais il ne put adoucir l’amertume dont les avait abreuvés une telle humiliation devant leurs esclaves.

Vint alors, en 1835, l’affranchissement de ces esclaves. Ils étaient au nombre de 40 000, et, représentant une valeur moyenne de 2 000 francs par tête, ils formaient pour la plupart des colons le plus clair de leur petit avoir. Le Parlement de Londres, qui avait promis une indemnité, aurait donc dû payer 80 millions de francs ; mais, pour le Cap, il n’alloua qu’un million et quart de livres sterling, qu’on stipula payable non pas au Cap, mais à Londres, clause qui eut pour effet d’obliger les Boers à vendre leurs assignations aux agens anglais pour le tiers de leur valeur nominale. Par suite, un petit colon qui possédait douze esclaves ne reçut à titre d’indemnité que 4 600 francs au lieu de 24 000, soit une perte sèche de 20 000 francs. Dépourvus des moyens nécessaires pour louer des ouvriers, les Boers furent alors contraints d’abandonner la plus grande partie de leurs terres, tandis que les esclaves libérés, mourant de faim, se jetaient dans le vagabondage, volant le bétail des colons et les attaquant jusqu’à leur porte. Les veuves surtout en souffrirent. Plusieurs d’entre elles abandonnèrent tout et vinrent se réfugier dans leur famille. La police, trop peu nombreuse, était incapable de réprimer ces violences, notamment sur la frontière, de sorte que la position devenait intenable. Ajoutez à cela qu’à l’instigation des missionnaires et de la Clapham sect de Londres[1], toutes les cours, tous les magistrats prirent fait et cause pour les indigènes et contre

  1. Chase, p. 335.