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mouvemens les plus passagers de l’âme. Aucun autre poète ne nous donne l’exemple d’une sensibilité aussi fine, ni aussi mobile : et je ne connais pas non plus d’exemple d’un autre poêle qui, à l’aide d’élémens aussi ténus, se soit élevé à une aussi haute conception du monde. Sa conception du monde, au reste, ne lui vient pas de sa foi religieuse : elle ne lui vient que de son propre cœur. Dans chacun de ses poèmes, Annette de Droste s’est mise tout entière. Jamais elle n’a fait de confessions ni à son temps, ni même à ses vers. Mais dans la maîtrise du lyrisme intime, dans l’art de traduire et de suggérer les sentimens de l’inquiétude, de la peur, du repentir, et du retour à l’espoir, dans l’évocation vivante de la nature, elle a infiniment dépassé tous les artistes de son temps. Elle est, sans contredit, la plus grande des femmes poètes de l’Allemagne. Et sans cesse sa grandeur nous apparaît plus clairement. »

Otto Ludwig, lui, a beaucoup écrit en prose : mais sa prose même était d’un poète, et d’un musicien plus encore que d’un poète. Aussi bien avait-il d’abord rêvé d’être compositeur. Et il a mis dans ses drames, dans ses contes, dans son roman Entre Ciel et Terre, un mélange tout particulier de passion et de fantaisie, qui, joint au charme d’une langue infiniment nuancée, fait songer aux poèmes lyriques d’un Schubert ou d’un Schumann. C’est le plus doux des écrivains allemands. Mais sa douceur ne l’a pas empêché d’exercer autour de lui une influence considérable, à la fois comme poète et comme critique. M. Richard Meyer le proclame un des initiateurs du mouvement réaliste ; et, en effet, ses préfaces, ses études sur Shakspeare, son curieux Journal, sont remplis d’observations neuves et profondes sur les moyens de concilier la vérité avec la beauté artistique. Dans cette idéale Histoire de la Littérature allemande, dont l’ouvrage de M. Meyer se borne à nous fournir les matériaux épars, Otto Ludwig aurait à tenir une très grande place. Il a résumé en lui tout un courant du romantisme, le courant musical et sentimental : et de lui est sortie, plus ou moins directement, une foule de poètes et de conteurs contemporains. Mais pour nous, qui n’avons affaire qu’à son œuvre, il reste surtout l’auteur des Trois Vœux, du Forestier, et de ce touchant Entre Ciel et Terre, dont une traduction française a paru, il a quelques années : hélas ! bien incapable de rendre la grâce mélodieuse de l’original.

Quant à Frédéric Hebbel, celui-là est certainement un poète de génie. Son influence n’a pas été aussi vive, peut-être, que celle de Ludwig, en raison de l’originalité même de son art, encore qu’une de