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infatigables efforts de ses compatriotes pour nous le révéler ? Notre connaissance de la littérature allemande ressemble à la connaissance qu’avait de la langue mandchoue ce légendaire élève du Collège de France à qui son professeur, en guise de mandchou, n’avait appris que le bas-breton. Les noms que nous savons citer ne sont pas les noms des vrais grands écrivains, de ceux que leurs compatriotes aiment et admirent le plus.

De ces écrivains, M. Meyer ne se borne pas à nous apprendre les noms. Il nous parle de leur personne et de leurs œuvres en des pages excellentes, les mieux faites du monde pour nous renseigner. Je ne puis malheureusement songer à les traduire toutes ; mais je voudrais essayer, du moins, de résumer celles qui se rapportent à trois écrivains que j’ai eu, par ailleurs, l’occasion d’apprécier : Hebbel, Otto Ludwig, et Annette de Droste, Tous trois passent, auprès des lettrés allemands, pour être les poètes les plus personnels de l’Allemagne contemporaine ; et je crois même que l’un d’entre eux, Frédéric Hebbel, si quelqu’un parvenait à le bien traduire, aurait de quoi toucher les lettrés français.


Le premier en date de ces trois poètes, Annette de Droste-Hülshoff, est née en 1797 dans un village de Westphalie. De famille noble, mais très pauvre, elle était catholique : ce qui rendrait plus significative encore l’admiration que lui témoigne M. Richard Meyer, si celui-ci ne prenait soin d’ajouter qu’elle a eu surtout à souffrir des angoisses du doute, et que ses plus beaux poèmes sont ceux où elle s’afflige de ne pas sentir en soi la présence de Dieu. Elle a, en tout cas, beaucoup souffert, et du doute, et de l’isolement, et de cette souffrance plus profonde qui est au cœur de tous les poètes. Les cinquante années de sa vie se sont passées tristement dans la prière et la rêverie, sans être même admise à connaître les plaisirs de la renommée, car ce n’est qu’après sa mort qu’on a découvert son talent.

Elle a laissé plusieurs recueils de poèmes, d’une harmonie souvent un peu rude, mais pleins de couleur et pleins d’émotion. Ses biographes nous racontent d’elle qu’elle était affligée, dès l’enfance, d’une myopie qui l’empêchait de rien distinguer à un pas devant elle : mais elle voyait, en revanche, avec une netteté extraordinaire, le détail des objets qu’elle regardait de près ; et aucun poète n’a su décrire plus heureusement les mille nuances délicates des petites choses. « Elle est, nous dit M. Meyer, le poète de l’infiniment petit, de la brise qui souffle, du brin d’herbe, de l’insecte microscopique, et aussi des