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eux des qualités que, avec la meilleure volonté du monde, nous serions hors d’état de découvrir dans leurs œuvres. En matière de roman, par exemple, il n’a pas assez d’éloges pour la force, la nouveauté, la sobre élégance des récits historiques de Conrad-Ferdinand Meyer : en matière de drame, les paysanneries de M. Hauptmann lui paraissent le dernier mot de la beauté artistique. C’est que, aujourd’hui comme il y a cent ans, ou peut-être davantage encore, les Allemands ont une autre façon que nous de concevoir la beauté. A un roman, à un drame, ils demandent autre chose que ce que nous demandons à des œuvres du même genre. Les romans de Théodore Fontane les ravissent, bien qu’on n’y trouve ni intrigue, ni action, ni plan ; et c’est de tout leur cœur qu’ils admirent la puissance dramatique des tragédies de Grillparzer, qui, à Paris, sembleraient plus ennuyeuses que celles de Soumet. Non point qu’ils aient tort, dans leur admiration : considérée au point de vue où ils se placent, l’œuvre de Théodore Fontane est en effet charmante, et Grillparzer, considéré à ce point de vue, a toutes les qualités d’un grand dramaturge. Le fait est, seulement, qu’ils se placent à un point de vue tout différent du nôtre. En dépit des chemins de fer et du télégraphe, l’idéal littéraire du public berlinois est aujourd’hui plus éloigné de notre idéal littéraire parisien qu’il ne l’était il y a cent ans, lorsque Gœthe imitait Rousseau, et que Schlegel s’inspirait de Chateaubriand.

Et de cette conclusion en dérive une troisième, non moins intéressante. C’est que les véritables grands écrivains de la littérature allemande, au XIXe siècle, sont demeurés tout à fait inconnus en dehors de l’Allemagne.

Les écrivains qu’on a traduits en français et en qui nous avons pris l’habitude d’incarner la littérature allemande, Hoffmann, Henri Heine, M. Sudermann, sont loin d’avoir, aux yeux de leurs compatriotes, une importance égale à celle que nous leur prêtons. M. Meyer, en vérité, exalte abondamment le génie de Heine ; mais on sent qu’il admire en lui le libre penseur autant que le poète ; et quand il a fini de nous parler de lui, c’est d’un tout autre ton qu’il célèbre l’œuvre poétique de Grillparzer ou celle d’Annette de Droste. Les maîtres de la littérature allemande, suivant lui, ceux à qui il consacre le plus grand nombre de pages et les plus élogieuses, s’appellent Eichendorff, Grillparzer, Hebbel, Otto Ludwig, Fritz Reuter, Annette de Droste-Hülshoff. Et sans doute nous connaissons davantage le conteur suisse Gottfried Keller, qu’il parait placer encore au-dessus d’eux ; mais, celui-là même, pouvons-nous vraiment nous flatter de le connaître, malgré les