Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est tout simplement de son temps par quelque endroit ; Iphigénie tout entière est de toujours.

Avec cela le charme d’Orphée, comme Orphée lui-même, est unique. Orphée, — sans comparer deux maîtres qui n’ont rien de commun, — me paraît tenir un peu dans l’œuvre de Gluck le rang occupé dans l’œuvre de Rubens par la Descente de Croix d’Anvers. Lui aussi, le Gluck d’Orphée, ou plutôt d’Orfeo, revenait d’Italie ; et, de l’opéra comme du tableau, Fromentin aurait pu écrire cette belle page : « Ajoutez à l’inspiration personnelle du peintre une influence italienne très marquée, et vous vous expliquerez mieux encore le prix extraordinaire que la postérité attache à des pages qui peuvent être considérées comme ses œuvres de maîtrise et qui furent le premier acte de sa vie de chef d’école… Quoi qu’il fasse, on sent le romaniste qui vient de passer des années en terre classique, qui arrive et n’a pas encore changé d’atmosphère. Il lui reste je ne sais quoi qui rappelle le voyage, comme une odeur étrangère dans ses habits. C’est certainement à cette bonne odeur italienne que la Descente de Croix doit l’extrême faveur dont elle jouit. Pour ceux, en effet, qui voudraient que Rubens fût un peu comme il est, mais beaucoup aussi comme ils le rêvent, il y a là un sérieux dans la jeunesse, une fleur de maturité candide et studieuse qui va disparaître et qui est unique[1]. »

Orphée et Iphigénie ont d’autres mérites communs. Les deux « livrets » sont également admirables. Gluck écrivait de Calzabigi, son collaborateur pour Orphée et pour Alceste : « Ce célèbre auteur, ayant conçu un nouveau plan de drame lyrique, a substitué aux descriptions fleuries, aux comparaisons inutiles, aux froides et sentencieuses moralités, des passions fortes, des situations intéressantes, le langage du cœur et un spectacle toujours varié. » (Préface d’Alceste.) Dans la lettre par laquelle il proposait à l’Opéra sa première Iphigénie, Gluck ajoutait avec trop de modestie : « Je me ferais encore un reproche plus sensible si je consentais à me laisser attribuer l’invention du nouveau genre d’opéra italien (sic) dont le succès a justifié la tentative : c’est à M. de Calzabigi qu’en appartient le principal mérite, et si ma musique a eu quelque éclat, je crois devoir reconnaître que c’est à lui que j’en suis redevable, puisque c’est lui qui m’a mis à la portée de développer les ressources de mon art[2] ». Guillard n’aurait pas eu droit à de moindres éloges. Pour la composition, pour l’idée et le

  1. Les Maîtres d’autrefois.
  2. Cité par M. Julien Tiersot dans la préface de la grande partition d’Orphée (édition Pelletan).