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jeunesse. Et la jeunesse n’était que trop disposée à l’entendre. Notez en effet que toutes les maladies dont on nous proposait hier l’expression littéraire sont celles mêmes qui se manifestent aujourd’hui dans l’ensemble de notre vie nationale. Ici, pareillement, le mal dont nous souffrons n’est-ce pas le goût de la jouissance ? À tous les étages de la société c’est un même désir de bien-être, c’est une même crainte de l’effort. On se laisse aller, on détourne les yeux de ce qui pourrait inquiéter notre tranquillité et troubler notre quiétude. On accepte de mourir, à condition de mourir en paix. Un tel état ne saurait pourtant durer indéfiniment et ne peut même se prolonger sans beaucoup de danger. Aussi, à l’heure présente, assistons-nous à un mouvement de réaction à peu près général contre des tendances dont on touche aujourd’hui du doigt les suites lamentables. Les beaux jours du dilettantisme sont définitivement passés. Le livre que M. Séailles consacrait naguère à Ernest Renan témoigne assez de cette espèce de colère contre l’idole de la veille. Les représentans les plus attitrés du pessimisme, de l’impressionisme et de l’ironie ont abjuré leurs erreurs avec solennité. C’est M. Paul Bourget, de qui nous enregistrons aujourd’hui la nette et significative profession de foi. C’est M. Jules Lemaitre, si habile jadis à ces balancemens d’une pensée incertaine et qui s’est ressaisi avec tant de vigueur et de courage. C’est M. Barrès, si empressé, dans ses premiers livres, à jeter le défi au bon sens, et qui, dans son dernier, s’occupait à relever tous les autels qu’il avait brisés. D’autres ont suivi. Ils se sont transformés en autant de professeurs d’énergie. Ils ont compris que le moment était venu de mettre un terme à des exercices trop périlleux et que c’est fini de rire. La question est de savoir si nous sommes encore capables de sérieux. Le moment n’est plus aux amuseurs, et ce n’est pas trop de tous les hommes de bonne volonté pour secouer l’universelle apathie, pour réveiller le sentiment de l’effort, pour répandre l’esprit de dévouement et de sacrifice. C’est pourquoi toute cette génération de la déliquescence serait désormais une génération disparue, oubliée, abolie, si, pour nous en rappeler le souvenir et pour nous en tenir l’image sous les yeux, M. Anatole France n’en restait l’exquis et le délicieux représentant.


RENE DOUMIC.