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compromis sophistiques de la conscience, impuissance à agir. Mais c’est ici le ton et c’est l’accent qui est significatif. Ces écrivains, dont il analysait l’influence de façon si pénétrante, M. Bourget ne les admirait pas seulement, il les aimait, et n’était du nombre de leurs dévots. Ces dispositions d’esprit, rares peut-être, exceptionnelles et dangereuses, il les acceptait, puisque aussi bien elles ne pouvaient manquer d’être, comme tout phénomène, déterminées par un ensemble de conditions. Ces maladies, non seulement il s’y résignait comme on se résigne à ce qui est nécessaire, mais il en savourait délicieusement le charme. Il raillait les docteurs en santé sociale, et se consolait que les citoyens d’une décadence fussent inférieurs comme ouvriers de la grandeur du pays, en songeant qu’ils sont très supérieurs comme artistes de l’intérieur de leur âme. « C’est probablement une loi que les sociétés barbares tendent chaque jour à un état de conscience qu’elles décorent du titre de civilisation et qu’à peine cette conscience atteinte, la puissance de la vie tarisse en elles. Les Orientaux disent souvent : Quand la maison est prête, la mort entre. Que cette visiteuse inévitable trouve du moins notre maison à nous parée de fleurs ! » M. Bourget n’aurait plus aujourd’hui ces façons de parler alanguies, et il estime à leur valeur ces nonchalances orientales. Qu’il en convienne donc ! Un changement considérable s’est fait en lui, celui-là même que nous avions peu à peu suivi à travers la succession de ses romans ; il est seulement rendu tout à fait sensible dans ce livre qui rapproche, en un frappant contraste, le Bourget d’aujourd’hui et le Bourget d’il y a quinze ans. Qu’il en convienne et qu’il s’en réjouisse avec nous ! Il s’est libéré des influences dont il avait été d’abord le prisonnier. Il a secoué le charme dont il avait subi la duperie. Il a échappé aux courans dont il était lui-même l’un des représentans. Qui ne sait que cette forme de l’indépendance est l’une des plus rares et des plus difficiles qui soient ? Cela est à son honneur, et c’est au surplus ce qui donne à la réimpression de ces Essais une portée actuelle et un intérêt nouveau. Plaçons-nous donc au même point de vue qui est devenu celui de M. Bourget, et, favorisés par le recul du temps, éclairés par l’expérience, instruits par la leçon des événemens, regardons avec nos yeux d’aujourd’hui notre image d’hier.

Il serait aisé, pour peu qu’on en eût envie, de s’égayer aux dépens du portrait. C’est l’impression qu’on éprouve à feuilleter un album de modes récentes et passées. Elles nous semblent, ces modes, pitoyables dans leur extravagance qui ne fait plus illusion. Au temps où on nous reporte, l’usage pour les personnes distinguées était de sourire. C’était