Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/421

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

séparées de la mer par une large zone d’étangs vagues et de marais et ne communiquent plus avec elle que par un chenal. Mais si le Brouage, l’ancien port des Santons, a eu une importance sérieuse dès l’origine de notre ère, s’il a pu être encore un centre d’armemens maritimes au cours du XVIIe siècle, il est aujourd’hui complètement déchu, sans intérêt artistique et irrémédiablement perdu. Aigues-Mortes ne remonte pas sans doute aussi haut. Son ancienne tour Matafère, qui datait de Charlemagne, n’existe plus depuis longtemps, et a été remplacée par la magnifique tour de Constance ; mais la ville actuelle, qui n’a guère plus de six cents ans, a conservé exactement intacte son admirable fortification de l’époque héroïque des croisés. La lumière pure qui l’environne lui donne un merveilleux relief et le soleil du Midi la dore d’une patine incomparable. Ses neuf portes et ses quinze tours, ses remparts crénelés, ses élégans mâchicoulis sont une des plus pures réminiscences de l’Orient militaire et religieux ; et malgré la décadence de son port et l’abandon injustifié dans lequel on l’a trop longtemps laissé, il restera toujours à la ville de saint Louis l’un des plus magnifiques diadèmes de pierres qui existe peut-être au monde et l’auréole non moins radieuse de ses nobles et grands souvenirs.

Tout autre est le Brouage. Son existence est sans doute beaucoup plus ancienne ; et le port des Santons était certainement en pleine prospérité il y a près de vingt siècles ; mais on n’en trouve plus le moindre vestige. La cité gallo-romaine a disparu complètement avec le port des galères, et la petite ville du XVIIe siècle, emprisonnée dans ses épais remparts désormais inutiles, est devenue un bourg presque désert à la veille d’être tout à fait abandonné. Les 10 000 hectares de salines en pleine activité qui alimentaient son port et étaient encore desservies en 1720 par plus de 30 ramifications navigables sont réduits à moins de 500. Le petit chenal sinueux qui aboutit à l’Océan est largement suffisant pour les besoins d’un commerce en décadence qui atteint à peine 3 000 à 4 000 tonnes et ne paraît pas devoir reprendre jamais un mouvement sérieux[1]. La campagne qui entoure le Brouage est non moins triste et désolée que la ville. A perte de vue, de tous côtés, des marais, la plupart abandonnés. Peu ou point d’arbres. La grande plaine s’étend uniforme, plate, grise, monotone,

  1. Crahay de Franchimont, Port du Brouage (Ports maritimes de la France, op. cit. ).