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et un dragage incessant, que l’on peut maintenir la navigation jusqu’à Saujon, qui était peut-être cet ancien Novioregum de l’Itinéraire Antonin, que les archéologues placent aussi quelquefois à Royan, sur la rive droite de la Gironde, et dont l’importance actuelle est loin de valoir celle des premiers siècles de notre ère. On sait en effet, à n’en pas douter, que les trirèmes de la métropole du monde et les embarcations de plaisance des riches gallo-romains, dont les villas bordaient la côte, fréquentaient le golfe de la Seudre, et qu’on y faisait par mer un commerce important de blé, d’huile et surtout de vin qui était à cette époque non moins estimé qu’aujourd’hui[1].

L’estuaire envasé de la Seudre a été jusqu’au siècle dernier un grand golfe, un véritable bras de mer. En amont de Saujon, le petit fleuve reçoit déjà 24 affluens. Un peu en aval, à l’écluse de Riberou, il devient navigable. Son lit s’élargit démesurément et est bordé sur ses deux rives de marais salans, les uns encore en exploitation, la plupart abandonnés à l’état de mares croupissantes et désignés sous le nom expressif de « marais gâts, » un certain nombre aménagés comme réservoirs à poissons ou divisés en un nombre infini de petits compartimens appelés « claires, » dans lesquels on élève des huîtres par centaines de millions. Dans cet étrange pays, on ne cultive plus la terre, on cultive l’eau, et on en tire de magnifiques revenus. Les salines sont à la vérité en pleine décadence, et bien inférieures comme rendement à celles de l’Est, et surtout à celles du golfe de Lyon ; mais l’huître, que l’on exploitait déjà avec passion à l’époque romaine, y prospère d’une manière merveilleuse, surtout depuis un demi-siècle. Sur l’horrible fond vaseux d’argile noire qui tapisse tous les bas-fonds, elle s’engraisse, prend une saveur exquise et acquiert cette couleur verte si particulièrement appréciée, on ne sait trop pourquoi. L’estuaire de la Seudre est ainsi devenu, comme le bassin d’Arcachon, un grand établissement de fabrication de produits alimentaires marins, les uns tout à fait indigènes, les autres d’importation, venant du Portugal, d’Arcachon, de Bretagne, de bien d’autres points de la côte océanique, qui sont la véritable fortune du pays et constituent la majeure partie du tonnage des petits ports de la côte.

Point de relief dans cet étrange pays. Une horizontalité

  1. Crahay de Franchimont, Le Port de Marennes et le Chenal de la Seudre (Ports maritimes de la France, op. cit.